Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/297

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salon d’un air à la fois mystérieux et effaré, dit à son maître d’une voix atterrée :

— Ah ! monsieur ! ah ! monsieur !

— D’abord, Gertrude, je vous ai cent fois ordonné de ne plus m’appeler monsieur, mais citoyen.

— Pardon, monsieur ; non, pardon, citoyen.

— Enfin, que voulez-vous ?

— Monsieur… non… le citoyen frère de madame est là.

— Hubert ici ! — s’écrie M. Desmarais avec effroi ; — je ne veux pas le voir. Dites que je suis absent !

— Hélas ! monsieur, il est poursuivi par la police ; on est sur ses traces, c’est par miracle qu’il a pu…

— Grand Dieu ! — murmure d’une voix défaillante madame Desmarais, — mon frère !

— Qu’il sorte de chez moi ! — s’écrie l’avocat, pâle de frayeur, — qu’il sorte à l’instant… mais il a donc juré de me perdre !

— Repousser mon frère, en danger de mort, peut-être ! — s’écrie madame Desmarais avec une douloureuse indignation. Et s’adressant à Gertrude en courant à elle : — Où est-il ? où est-il ?

— … Dans la salle à manger, il se débarrasse de sa grosse houppelande, de ses lunettes bleues et du chapeau clabaud qui le déguisent, et…

La servante n’achève pas, M. Hubert paraît à la porte du salon ; il est ému, mais on lit sur ses traits résolus l’énergie habituelle de son caractère ; il reçoit sa sœur dans ses bras et l’embrasse avec effusion. L’avocat Desmarais, en proie à la plus vive anxiété, ne sachant encore à quelle détermination s’arrêter, dit tout bas à Gertrude d’une voix atterrée :

— Croyez-vous que le portier ait reconnu M. Hubert ?

— Monsieur, c’est impossible ; M. Hubert, avec son chapeau clabaud enfoncé sur les yeux, ses lunettes bleues et le collet de sa houppelande qui lui cachait le bas du visage, était méconnaissable.