Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/313

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— Quoi, monsieur ! Vous auriez été assez généreux pour…

— Prenez garde, madame… que l’on ne vous entende… Ces hommes nous observent, et tous ne sont pas sûrs ; mais j’ai un dernier conseil à vous donner. Recommandez le plus tôt possible à monsieur votre frère, si vous connaissez son refuge, de se hâter de sortir de Paris par la barrière Saint-Victor ; vous entendez bien ? par la barrière Saint-Victor.

— Oh ! monsieur, que de bontés ! ma reconnaissance…

— Silence, le citoyen Desmarais me dénoncerait…

— Ah ! ne le croyez pas capable de…

— Je plaisante, madame, je sais que votre mari est, au fond, le meilleur des hommes, qu’il abhorra les hideux excès de la révolution, quoiqu’il semble y applaudir ; mais, hélas ! dans notre terrible époque, il faut bien…

— Il faut bien, monsieur, rugir avec les tigres, n’est-ce pas ? ainsi que dit mon mari, — répond avec une naïve imprudence madame Desmarais, complètement dupe de la feinte bonhomie du commissaire et de l’intérêt qu’il semble témoigner au sort du fugitif.

— Je savais parfaitement que ce digne M. Desmarais affectait par nécessité des opinions bien éloignées de son noble cœur… N’ayez donc, madame, aucune crainte ; j’ai compris sa pensée, lorsqu’il a requis votre arrestation… aussi je vais vous laisser deux geôliers, les meilleurs gens du monde… Adieu, madame… gardez-moi surtout le secret… et comptez toujours sur mon dévouement, — ajoute toujours à demi-voix le magistrat. Puis il rejoint ses agents avec lesquels il s’entretient, tandis que madame Desmarais dit à sa fille avec expansion :

— Quel excellent homme que ce commissaire ! Grâce à lui, mon malheureux frère pourra peut-être quitter Paris cette nuit sans danger.

— Par la barrière Saint-Victor, ma mère, n’oublie pas cela ; sans doute cette barrière est moins surveillée que les autres.