Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses gens, qui emportent la caisse d’armes, et dit à deux des hommes dont il était accompagné :

— Vous resterez au dehors de ce salon aux ordres du citoyen Desmarais. — Puis il ajoute tout bas à l’oreille d’un autre : — Demeurez en observation aux abords de la maison, et si quelqu’un sort d’ici, suivez-le.

Au même instant madame Desmarais se disait :

— Hâtons-nous d’écrire à mon frère qu’il doit, cette nuit même, quitter Paris par la barrière Saint-Victor ; — et se rapprochant vivement de son mari au moment où les battants de la porte du salon se referment, madame Desmarais s’écrie avec expansion :

— Ah ! mon ami, quel brave homme que ce commissaire ! il fait comme toi : il rugit avec les tigres !

— Hein ! — reprend avec la stupeur de l’épouvante l’avocat, sentant son front baigné d’une sueur froide. — Quoi ! … vous dites ? …

—… Que ce digne homme a bien compris qu’en demandant mon arrestation, pauvre ami, tu jouais ton rôle ; n’est-ce pas, Charlotte ?

— Oh ! oui, car il a dit à ma mère : « En ces terribles temps, les honnêtes gens sont obligés de porter un masque, n’est-ce pas, madame ? »

— Et… et… votre mère ? — balbutie l’avocat dont les dents se heurtaient de frayeur, — votre mère… a… a… répondu ?

— J’ai répondu qu’en effet il te fallait bien rugir avec les tigres, ainsi qu’aujourd’hui tu me l’as plusieurs fois répété, mon ami…

— Malheureuse ! — s’écrie l’avocat, et, effrayant, il se précipite sur sa femme, que, dans le paroxysme de sa rage, il va saisir à la gorge ; mais Charlotte se jette au-devant de sa mère, la couvre de son corps, s’oppose aux violences de l’avocat, en lui disant d’une voix suppliante :

— Mon père, revenez à vous, par pitié !  !

Soudain, à l’accès de fureur de M. Desmarais succède la prostration de l’épouvante, ses traits se couvrent d’une pâleur livide, il