Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/328

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vincible, de donner ma fille à un artisan. Ah ! je frémis en calculant les suites d’une pareille révélation, jointe aux aveux de ma femme à ce serpent de commissaire, convaincu maintenant que je suis un faux patriote, que je joue un rôle en rugissant avec les tigres. Malheur à moi ! tout ceci, coïncidant avec l’évasion d’Hubert, avec le dépôt d’armes et de proclamations royalistes trouvé chez moi, pourrait, à un moment, prochain peut-être, m’envoyer tout droit à la guillotine, tandis qu’en me résignant, hélas ! à donner ma fille à ce Lebrenn, je fais acte éclatant de foi égalitaire : les relations de ce forcené jacobin avec Marat, Robespierre, Billaud‑Varenne et autres, ainsi que l’estime dont ils l’entourent, pourront me sauvegarder. Donc, le sort en est jeté : c’est cruel, c’est désolant, mais il vaut mieux être le beau-père d’un garçon serrurier que… guillotiné !

L’avocat Desmarais se livrait à ces réflexions en écrivant à Jean Lebrenn la lettre suivante :


« Mon cher Jean,

» Je vous attends sur-le-champ chez moi. Ma fille est à vous, à une seule condition, que j’attends de votre loyauté, en laquelle j’ai une confiance absolue.

» Cette condition, la voici :

» Ne dites à personne, et notamment à Billaud‑Varenne, que vous aimez ma fille depuis quatre ans ; feignez d’être touché et surpris de la proposition de mariage que, tout à l’heure, je vais vous faire en présence de Billaud, car il est chez moi.

» Il n’y a rien dans ce que j’attends de vous qui puisse répugner à votre honneur ; c’est l’unique condition que je mette à votre mariage avec Charlotte, mais cette condition est indispensable ; je vous instruirai plus tard des motifs qui me guident en cela.

» Ainsi donc, mon cher Jean, décidez-vous. C’est, comme on dit vulgairement, à prendre ou à laisser.

» Si vous acceptez, si vous vous présentez chez moi, où je vous