Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/327

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sur ses qualités privées. Mademoiselle Desmarais, élevée nécessairement par vous dans les bons principes, devrait, ce me semble, sauf sa convenance personnelle qu’il faut toujours respecter, devrait, dis-je, agréer une pareille union ! Jean Lebrenn est jeune, d’un extérieur très attrayant ; or, je le répète, si ce mariage agréait à votre fille, ne serait-ce point un touchant et salutaire exemple de confraternité, de fusion, entre ce que l’on appelait autrefois les classes, que cette union de la fille du riche bourgeois et de l’artisan ? Que pensez-vous de cela, collègue ?

— Ce que j’en pense ?

— Oui.

— Vous allez le savoir, — répond l’avocat Desmarais, après un moment de réflexion décisif et paraissant céder à une inspiration soudaine ; puis il court à la table, s’assied, prend du papier, une plume et écrit quelques lignes, en se disant à part soi :

— Il n’y a plus à hésiter, en face de l’effrayante extrémité où je me trouve ! Le sacrifice est consommé ! Je l’avoue, tout à l’heure, à la suite du refus de Saint‑Just, et apprenant de quelle estime jouit Lebrenn auprès de cet infernal Marat et de ce redoutable Robespierre, j’avais, malgré moi, un moment songé à ce mariage, où je trouverais presque certainement une sauvegarde contre les monstres que je crains ; et cependant ma dignité s’était de nouveau révoltée à cette pensée de devenir le beau-père d’un ouvrier serrurier ; mais, après l’ouverture formelle de ce maudit Billaud‑Varenne, aussi scélérat que les autres ; après ses réflexions égalitaires sur la fusion des classes, je ne dois plus, je ne peux plus hésiter. — Il s’intéresse beaucoup à Jean Lebrenn, il peut l’instruire des propositions qu’il m’a faites, et ainsi apprendre de ce garçon qu’il aime ma fille depuis près de quatre ans, qu’il est aimé d’elle, à ce point qu’elle lui a juré de n’avoir jamais d’autre époux que lui… Ne serait-il pas dès lors évident aux yeux de Billaud‑Varenne que l’unique raison de mon opposition à ce mariage est… ce qu’elle est réellement, ma répugnance, jusqu’alors in-