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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/51

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Or, de ces mesures pas un mot ! !… pas même la proposition de déclarer Louis XVI déchu du trône, déchéance demandée par les esprits les plus modérés, décrétée par la constitution elle-même… en cas de forfaiture du pouvoir exécutif… Or, la forfaiture de Louis XVI était flagrante, et signée de sa main dans le manifeste laissé par lui en partant… Robespierre, il est vrai, venait aux jacobins faire le procès de l’Assemblée… Il venait, bravant les haines et la mort, dénoncer la trahison de ses collègues ; mais lui, l’homme de la logique inflexible, concluait-il en conseillant au peuple de retirer de fait son mandat confié à des mains infidèles, si leur trahison devenait flagrante, et de se réunir dans ses comices et de nommer une assemblée nouvelle ? Non ! et pourtant Robespierre, dans un élan de superbe éloquence et de chaleureux patriotisme, venait de signaler les terribles dangers dont la patrie était menacée… dangers si terribles, ajoutait-il avec un accent de désespérance mortelle : — « qu’il eut regardé comme un bienfait la mort qui le soustrairait à la vue de ces maux inévitables. » — Quoi ! pas un mot, pas un conseil pour les conjurer, ces maux ?

Le peuple, abasourdi, ne comprenait rien à cette énigme étrange. Je crois me l’expliquer par cette réflexion : l’un des caractères saillants du génie politique de Robespierre, inexorable dans sa résolution lorsqu’il croit venu le moment de l’action, est de ne pas hasarder le succès et d’en attendre le moment certain avec une patience, une réserve souvent poussée à l’excès. De là, cette contradiction frappante entre le début et la fin de son discours ; il se proposait évidemment de conseiller une mesure prompte, décisive contre le pouvoir royal et contre l’Assemblée ; mais tâtant peu à peu, ainsi que l’on dit, le terrain, et s’assurant que les mesures annoncées par lui devaient rencontrer une insurmontable opposition parmi les jacobins, aujourd’hui tout-puissants sur l’esprit public en France, Robespierre, pensant que l’heure de la république n’avait pas encore sonné, crut sans doute plus sage, plus politique de temporiser en se bornant à