Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/50

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jourd’hui que je dois tant à la reconnaissance, à l’amour de mes concitoyens, j’accepterais la mort comme un bienfait ! Elle m’empêcherait d’être témoin de maux inévitables… » — Puis, dominant son émotion passagère et revenant à son naturel inflexible, Robespierre ajoute d’un ton ferme et bref : « — Je viens de faire le procès à l’Assemblée… qu’elle fasse le mien… je l’en défie… »

La péroraison de ce discours produit un effet immense sur les jacobins, on eût dit le testament de mort de Robespierre ; plus d’une fois les larmes des auditeurs coulèrent, et, lorsqu’il descend de la tribune, les jacobins se lèvent par un mouvement spontané. Camille Desmoulins s’élance vers l’orateur, et le visage baigné de pleurs il enlace Robespierre d’une étreinte fraternelle en s’écriant :

« — Je le jure… nous mourrons avec toi ! !

» — Oui, oui, nous mourrons tous avec toi, Robespierre ! » — répètent les jacobins se levant dans un sombre enthousiasme et étendant leurs mains vers la tribune comme pour s’engager par un serment imposant. Le feu de leurs paroles, leurs gestes, leur attitude, leur physionomie, l’inattendu de cette inspiration soudaine, donnent à ce tableau un caractère sublime. Les tribunes partagent l’enthousiaste émotion des jacobins, soulevée par la péroraison de Robespierre ; mais par cela même que le peuple avait applaudi à outrance les passages du discours où l’orateur dévoilait avec son inexorable sagacité les manœuvres du roi, la complicité des fonctionnaires et de l’Assemblée à laquelle Robespierre venait, disait-il, « de faire son procès, » la surprise, la déception du peuple, sont d’autant plus profondes que la fin de ce discours ne répond en rien à l’attente générale soulevée par ce début : « — Ce n’est pas à moi que la fuite du premier fonctionnaire de l’État paraîtra un événement désastreux… Ce jour peut devenir le plus beau jour de la révolution… Mais pour cela il faudrait prendre d’autres mesures que celles prises par l’Assemblée… Je viens vous parler de ces mesures que je n’ai pu proposer à mes collègues de l’Assemblée. »