Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 14.djvu/66

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âme, de leur cœur, la grande cause de l’humanité, conservant ainsi entières les forces vives de la révolution ! Mais que les révolutionnaires l’aient, de leurs mains parricides, saignée aux quatre veines ! Mais que les montagnards aient envoyé les girondins à l’échafaud pour y être envoyés ensuite eux-mêmes par l’influence de la commune… et cela pourquoi… uniquement parce que celui-ci différait avec celui-là sur les moyens d’arriver à la même fin ? Quoi ! le parti dominant aujourd’hui ne pouvait pas se borner à tenir éloigné des affaires publiques le parti dominateur hier, afin que demain la patrie le trouvât prêt à la servir… puisque, par la nature des choses, le flot de la démocratie est mobile et changeant ? Mais tuer… tuer sans relâche… et tuer… qui ?… des ennemis avérés ? Non ! des amis connus, souvent bien chers, et toujours vaillamment éprouvés au service de la chose publique ! Quoi ! faire des cadavres… des plus pures, des plus belles, des plus puissantes intelligences de ces temps homériques ? Quoi ! la révolution… tuer Camille Desmoulins, tuer Vergniaud, tuer Danton, tuer Saint-Just, tuer Robespierre ! et tant d’autres, et tant d’autres ! Quoi ! la révolution elle-même offrir cette hécatombe du génie révolutionnaire à ses ennemis éternels ! ! Ah ! ce fut un grand crime, et il eût tué la république… si elle avait été incarnée dans quelques hommes, au lieu d’être la formule la plus complète, la plus élevée du progrès humain !

Pleurez, fils de Joël, pleurez ces morts illustres ! leur crime, du moins, fut héroïque comme leur vie, comme leur trépas… ils vous ont légué les impérissables conquêtes de la révolution ; depuis longtemps ils seront cendre et poussière, tandis que, paisible, heureuse, et désormais affranchie, votre descendance jouira de leurs sanglants triomphes, consécration suprême des combats séculaires de nos aïeux !

Tenez, fils de Joël, j’ai été le témoin obscur, mais sincère, de ces luttes à jamais déplorables entre les grands hommes de la révolution, qui se frappaient tour à tour au nom de leur commun principe. Ces