Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/164

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rugir avec les tigres… je deviendrai, s’il le faut, tigre… à l’occasion… » Hélas ! il n’est que trop vrai, — ajouta madame Desmarais, ne pouvant retenir ses larmes, — dans votre crainte de voir trahir la peur et l’aversion que vous inspire la révolution… vous êtes capable de…

— Vous tairez-vous ! — s’écrie l’avocat exaspéré, — vous voulez donc m’envoyer à la guillotine… en proférant vos exécrables calomnies en présence de cet homme à qui j’ai eu le malheur de donner ma fille, et qui n’attend peut-être que le moment de me perdre !…

— Détrompez-vous, citoyen Desmarais, — vrépond dignement Jean Lebrenn ; — vous n’avez rien à redouter de moi, et je vous dirai aujourd’hui, ainsi qu’il y a quatre ans : « — Je n’ai pas foi dans votre patriotisme ; mais cette conviction, je ne tenterai de la faire partager à personne… Vous serez apprécié, jugé d’après vos actes ; eux seuls témoigneront un jour pour vous… ou contre vous. »

— Eh ! n’est-ce pas me mettre en état de suspicion terrible aux yeux des révolutionnaires, que de vous éloigner de moi le lendemain de votre mariage avec ma fille ? — s’écrie l’avocat Desmarais éperdu ; — mes ennemis ne tireront ils pas de ce fait les conséquences les plus funestes pour ma sécurité, eux qui déjà me soupçonnent ? Cet infernal Marat n’a-t-il pas dit qu’il avait l’œil sur moi ?…

— Tenez, croyez-moi, citoyen Desmarais, — reprend Jean Lebrenn avec un mélange de dégoût et de pitié, — il dépend de vous de mettre un terme à ces angoisses, à ces terreurs dont vous êtes continuellement assailli, et dont ceux qui vous entourent sont les premières victimes… Cessez d’afficher, d’exagérer des opinions absolument contraires à votre secrète croyance… renoncez à la carrière politique…

— Renoncer à la carrière politique !… Mais toi aussi… tu veux donc ma mort… scélérat… Ah ! tu le sais bien ! me retirer en ce moment de la Convention… moi… moi, montagnard… ce serait me vouer volontairement à la guillotine !