Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/165

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— Mon père, pouvez vous supposer Jean capable de vous donner un conseil dont les résultats seraient aussi horribles ?…

— Permettez-moi de vous le dire, citoyen Desmarais, — poursuit le jeune artisan, — la faiblesse de votre caractère, le trouble de votre conscience bourrelée, évoquent sans cesse à vos yeux des fantômes. La république ne frappe que des actes de trahison avérée ; elle respecte la liberté des opinions… Est-ce à moi de vous rappeler que naguère encore, lors du procès de Louis XVI, dont vous étiez l’un des juges, ceux-là qui regardaient comme impolitique ou même comme une iniquité la condamnation de Capet se sont récusés, ou bien ont motivé leur vote en toute sécurité ?… N’avez-vous pas entendu Kersaint apostropher avec une violence de langage inouïe la majorité de la Convention, au sujet de son vote régicide… traiter ses collègues d’assassins et leur signifier sa démission ?… Qu’est-il arrivé ? Les collègues de Kersaint, pardonnant à l’injurieuse véhémence de ses paroles, ont sursis à statuer sur une démission donnée dans un premier moment d’emportement. Encore une fois, croyez-moi, citoyen Desmarais, vous n’auriez rien à craindre si vous aviez l’énergie d’avouer hautement votre opinion comme Kersaint, Lanjuinais, Dussaulx, Claude Fauchet et tant d’autres ; mais vous êtes révolutionnaire des lèvres et non de cœur, voilà pourquoi vous êtes en proie à une épouvante continuelle.

— Misérable !… je suis meilleur révolutionnaire que toi !!…

— Je le désirerais pour votre tranquillité, citoyen Desmarais, — répond Jean Lebrenn sans s’émouvoir ; — mais suivez mon conseil, et puisqu’il vous est aussi impossible de renoncer à vos secrètes convictions que de les proclamer hardiment, ne jouez pas plus longtemps ce rôle à double face, il pourrait avoir un jour pour vous des périls plus réels que ceux dont votre imagination s’effraye à cette heure : rentrez dans la vie privée, votre retraite ne sera inquiétée ni maintenant ni plus tard, je m’en porte garant. Vos votes, votre conduite ont du moins toujours été révolutionnaires en apparence. Ce passé sauvegardera l’avenir… Vous retrouverez dans le calme de la vie