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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/243

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enfant de Paris, d’un caractère ouvert, joyeux et résolu, joignait à de solides qualités de cœur un esprit naturel plein de verve, de saillie et souvent d’un tour original. Jean Lebrenn, profondément affectionné à cet artisan, duquel il partageait les travaux depuis plus de dix années, l’appréciait selon ses mérites et exerçait sur lui un empire fondé sur une inflexible rectitude de principes, sur la précoce maturité de son jugement et sur une instruction malheureusement rare chez la plupart de ses frères du peuple, et qu’il devait uniquement au hasard des circonstances. Le patron et le contre-maître se tutoyaient, moins pour obéir à une habitude assez générale en ce temps-ci que par une fraternelle accoutumance, résultant d’une ancienne affection et d’une longue communauté de travaux.

— Ah çà, Jean, je ne te dérange pas, au moins, — dit Castillon en entrant ; — tu étais en conversation avec ta femme et ta belle-mère… je viens peut-être mal à propos ?

— Tu seras toujours le bienvenu, mon brave Castillon… De quoi s’agit-il ?

— Tel que tu me vois, mon vieux, je suis ambassadeur… rien que ça !

— Ambassadeur de nos camarades ?

— Justement.

— Et le sujet de cette ambassade ?

— Voilà… Tu sais que depuis une quinzaine de jours nous n’avons guère eu le temps, ni les uns ni les autres, d’aller le soir aux réunions de la section : il nous faut achever la commande de fusils et de mousquetons dont la nation nous a chargés ; or, ça, vieux ! c’est sacré… ça passe avant tout… Fabriquer des armes pour nos frères qui vont à la frontière !… Ah ! nom d’une pipe… ils sont fièrement heureux, ceux-là…

— Notre tour viendra, Castillon… patience.

— Patience… soit ; mais c’est bigrement dur de ne pouvoir qu’ajuster, fourbir pour les autres ces belles clarinettes de cinq pieds,