Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/87

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— Par le droit de conquête.

— Par le droit du voleur ; mais, passons : cette terre volée il y a quatorze siècles, dis-moi, comte, qui l’a, depuis ce temps, arrosée de ses sueurs, fécondes pour vous, seigneurs, représentants des premiers voleurs, et stériles pour elle seule ? N’est-ce pas la race asservie, tour à tour esclave, serve et vassale, jusqu’en la nuit du 4 août 1789 ? Est-ce vrai ?

— Soit.

— Dis-moi, comte, quels salaires ont-ils reçu, les esclaves, les serfs, les vassaux laboureurs qui, depuis quatorze siècles et plus, cultivaient à votre unique profit ces champs, jadis le patrimoine de leurs pères, et volés par vos nobles ancêtres, messeigneurs ? Dis, comte, quel salaire ont-ils reçu, ces laboureurs pendant quatorze siècles et plus ?

— La vassalité de cette gent, corvéable à merci, ne nous dispensait-elle pas, en vertu de nos droits seigneuriaux, de lui accorder aucun salaire ? Ces corvées n’étaient-elles point obligatoires ?

— Toujours en vertu du droit du larron ; or, tu l’avoues : ces déshérités n’ont reçu de vous, messeigneurs, pour leurs labeurs, pour leurs corvées, aucun salaire ? Eh bien, comte, maintenant, réponds : pourrais-tu seulement nombrer, sans que ta pensée soit saisie de vertige, oui, pourrais-tu seulement nombrer les sommes fabuleuses, inouïes, que dirai-je, impossibles, que représentent les journées de travail de ces millions d’esclaves, de serfs ou de vassaux exploités par vous, nobles seigneurs, sans nulle rémunération, et cela depuis près de quinze cents ans ? Le salaire de chacune de ces journées ne fût-il taxé qu’à un sou !

— Le beau raisonnement ! Il est digne de ce plat coquin de Turgot.

— Enfin, réponds.

— Eh ! ces sous réunis, accumulés depuis des siècles, s’élèveraient-ils à des milliards de milliards de louis d’or, qu’est-ce que cela prouverait encore ?