Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/89

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aussi, dans ces derniers représentants de la conquête, une oppression séculaire qui se perd dans la nuit des âges ! Oui, et quand tomberont encore sous la hache d’une justice tardive les têtes de ceux-là qui, fiers de l’antiquité de leur maison, prétendent porter les plus grands noms de France, plus grandes seront ces familles, plus grand sera le nombre des forfaits dont elles sont solidaires ! Ah ! elles font dans leur orgueil de race remonter leur origine jusqu’au berceau de la conquête ? que leur volonté soit faite… Plus elles revendiquent de siècles, plus elles revendiquent de crimes, plus leur châtiment doit être terrible. Et voilà pourquoi, eux et toi, payerez la dette de sang, comte de Plouernel !

Victoria s’exprimait ainsi avec un redoublement d’exaltation farouche, lorsque son frère, Jean Lebrenn, muni d’une double clef de la chambre, y pénètre soudain ; son oreille a été frappée des derniers mots adressés par sa sœur à M. de Plouernel. Celui-ci, à l’aspect imprévu du jeune artisan, recule d’un air sombre et défiant, portant machinalement la main au poignard qu’il cache sous ses vêtements.

— Jean, ferme la porte à clef, — dit vivement Victoria, — cet homme est le comte de Plouernel.

— Je le sais, ma sœur, j’ai entendu tes dernières paroles, — répond Jean, ne cachant ni la surprise, ni la pénible impression que lui cause la présence de l’un des descendants de cette race seigneuriale des Neroweg, et se rappelant que le comte avait lâchement fait donner des coups de bâton par ses laquais au père de Charlotte.

M. de Plouernel était, non sans efforts, parvenu à se dominer, à conserver son sang-froid durant son bizarre et sinistre entretien avec Victoria, malgré l’aversion qu’elle lui inspirait. Elle était femme et il l’avait éperdument aimée ; mais, malgré les dangers qu’il courait, il sentit son orgueil patricien révolté à l’aspect de Jean Lebrenn, qui devait partager les ressentiments d’inexorable vengeance dont sa sœur poursuivait les fils de Neroweg, et malgré les terribles circonstances