Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/90

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révolutionnaires où il se trouvait, le comte, regardant comme une lâcheté de sembler craindre ou implorer un misérable roturier, redressa le front, brava d’un regard de dédain et de défi le jeune artisan, le toisa insolemment, et lui dit avec une outrageante ironie :

— Allons, citoyen, fais ton honnête métier de pourvoyeur d’échafaud, tu gagneras sans doute une bonne journée en livrant aux scélérats, tes complices, un grand seigneur émigré. Voyons, combien vendras-tu à cette féroce canaille la tête du comte de Plouernel ?

— Ah ! que je suis heureuse de ce langage, — dit la jeune femme avec un allégement farouche. — En te voyant entrer, mon frère, je redoutais de ta part quelque accès de cette déplorable clémence que ton noble cœur confond à tort avec la générosité, car cette injuste clémence couvre les criminels du manteau de l’impunité. Oui, frère, en te voyant, je regrettais presque d’avoir tardé de livrer monseigneur aux patriotes de cette maison, qui l’auraient déjà conduit, mort ou vif, à la section.

Jean Lebrenn, sans répondre à sa sœur et sans paraître blessé des insultes de M. de Plouernel, quoiqu’elles fissent bouillonner son sang, jeta sur l’émigré un regard ferme et froid, puis il dit à Victoria :

— Comment cet homme se trouve-t-il ici ?

— Cet homme ! — s’écrie le comte pâle de colère, — cet homme, insolent drôle, te châtierait à coups de bâton, si…

— Victoria, — reprend Jean Lebrenn, haussant les épaules et continuant à grand’peine de réfréner son courroux et son indignation, — comment cet homme se trouve-t-il ici ?

— Il fuyait sans doute les gens chargés de l’arrêter ; il a rampé sur le toit de la maison voisine et s’est introduit ici par la fenêtre en brisant un carreau.

— Ainsi, — dit Jean Lebrenn à M. de Plouernel, — vous êtes émigré, décrété d’accusation ?

— Ce maraud a l’audace de m’interroger, — répond le comte