Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— Tout m’est expliqué maintenant, digne et vaillante sœur ! — s’écrie Jean Lebrenn. — La santé d’Olivier rétablie dans la solitude de Sceaux, vous êtes tous deux partis pour l’armée, où cet intrépide garçon a déjà donné des preuves de son aptitude militaire ?

— Olivier est d’une bravoure héroïque. Son intelligence de la guerre grandit chaque jour. Il a valeureusement conquis ses premiers grades. Soldats et officiers disent de lui : Il ira loin…

— Telles ont toujours été, tu le sais, mes prévisions à son sujet.

— Mais, selon tes prévisions, le développement de sa vocation militaire n’étouffait pas ses vertus civiques… et je crains qu’un jour Olivier…

— Que dis-tu, ma sœur, et d’où te vient cette crainte ?

— De la prééminence qu’Olivier accorde à l’état militaire sur les carrières civiles ; il a surtout l’orgueil du commandement ; il témoigne d’une hauteur inflexible dans l’autorité très restreinte qu’il exerce ; aimant la bataille pour la bataille, il serait indifférent à l’équité ou à l’iniquité d’une guerre. Tout contrôle du pouvoir militaire le révolte. Il le rêve absolu, sans contre-poids ; enfin, que te dirai-je, Jean ? il subit non sans regrets la simplicité républicaine. Je te citerai à ce sujet un trait caractéristique. Dernièrement, dans une charge où il s’est montré d’une folle témérité, Olivier a fait prisonnier un colonel autrichien… son brillant uniforme était couvert d’ordres de chevalerie… Le soir, au bivac, Olivier me disait, en parlant de son prisonnier : « — As-tu remarqué les croix d’or et d’émail dont était bardé l’uniforme de ce colonel ?… Voilà du moins les signes visibles que l’on s’est conduit en brave… Combien ces décorations rehaussent l’habit militaire : comparez donc ces brillantes récompenses à notre fameuse formule : Un tel a bien mérité de la patrie ! »

— Je suis aussi surpris qu’affligé de pareilles tendances… Je te l’avoue, ma sœur, j’augurais mieux de ce jeune homme.

« — Quoi ! — lui ai-je dit, — la conscience d’avoir fait ton devoir aux yeux de tous et aux tiens ne te suffit pas !… Quoi ! ta misérable vanité préférerait quelques hochets monarchiques à cette rémunération républicaine d’une grandeur antique : Olivier a bien mérité de la patrie ! — Soit, me répondit-il, mais vous ne pouvez porter cette mention civique écrite sur votre uniforme. — Non, mais on la porte fièrement écrite dans son âme… lorsqu’on a l’âme d’un patriote, » ai-je dit à Olivier. Il a senti le reproche, a rougi et s’est tu.