Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/9

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plus en sœur… qu’en mère… Tu comprends cette nuance ?

— Sans doute, et en un pareil moment, elle était d’une nécessité extrême.

« — Ah ! — s’écria bientôt Olivier les yeux humides de larmes — ah ! ce serait le paradis sur la terre que de vivre ici ! — Vivons-y donc, Olivier ; ne sommes-nous pas libres ? — Quoi !… vous consentiriez à partager avec moi cette solitude, mademoiselle Victoria ? — Sans doute puisque je vous ai conduit ici dans cette espérance, Olivier. » — Il rayonnait… Mais soudain s’attristant il me demande ce que dans cette solitude je serais pour lui. — Votre sœur, lui dis-je. Mais le voyant redevenir sombre, j’ajoutai en souriant : « Hier, mon ami, je ne voulais être que votre mère… je consens aujourd’hui à me rajeunir assez pour être votre sœur… n’est-ce pas déjà un grand progrès ? — Ainsi ! s’écria-t-il transporté, vous me laissez espérer… — Je vous laisse espérer ce que j’espère moi-même, Olivier ; c’est qu’un jour bientôt peut-être je ressentirai pour vous un sentiment plus tendre que la fraternité… Cela dépend de vous encore plus que de moi. — Et pour cela que faut-il donc faire, mademoiselle Victoria ? — Il faut devenir un homme, Olivier… un homme dont je puisse être fière… Alors sans doute j’oublierais mon passé, la différence d’âge qui nous sépare et je serais à vous comme vous seriez à moi. » — Olivier s’abandonna d’abord avec transport à cette espérance ; puis soit qu’il doutât de mes intentions soit qu’il craignît de paraître lâche en renonçant au suicide puisque je ne m’engageais envers lui par aucune promesse formelle, il reprit avec l’expression d’un soupçon navrant : « — Vous ne prenez envers moi aucun engagement… vous voulez m’éloigner de vous. — Au lieu de vouloir vous éloigner, Olivier, voici ce que je vous propose : nous resterons dans cette charmante solitude jusqu’à votre complet rétablissement, nous partirons ensuite pour l’armée, où nous nous enrôlerons dans le même régiment. » — Et répondant à un mouvement de stupeur d’Olivier, j’ajoutai : « — Serais-je donc la première femme qui ait partagé les périls de nos soldats en conservant le secret de son déguisement ?… Ainsi je vous verrais monter de grade en grade à mesure que se développerait en vous votre vocation militaire… Viendrait enfin le jour prochain peut-être où une action d’éclat vous élevant à la hauteur que je rêve pour vous notre commune espérance se réaliserait… Et maintenant, Olivier, choisissez entre un stérile et lâche suicide et le glorieux avenir qui s’offre à vous. »