Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/12

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étrange que m’inspirait ce malheureux enfant, l’arracher au suicide, à une lâche et stérile défaillance… je voulais ranimer par un lointain et vague espoir son courage abattu, l’initier à la carrière des armes, où sa vocation l’appelait, veiller sur lui comme une mère et, partageant sa vie de soldat, le préserver des écarts qui perdent tant de jeunes gens ; je voulais enfin l’affermir dans la voie du juste et du bien, développer ses vertus civiques, rendre plus fervent encore son amour de la patrie et de la république. Puis, ce devoir que je m’imposais accompli, j’abandonnais sans inquiétude Olivier à la brillante destinée que semble lui réserver l’avenir… Oui, frère, tel était mon projet… il s’est en partie réalisé… La passion de la guerre, est maintenant l’unique passion de ce jeune homme.

— Victoria, prends garde de t’abuser.

— Non, non, merci Dieu… chaque jour apporte sa preuve à ma conviction. Ce soir encore, en songeant au combat de demain… sais-tu quelles ont été les paroles d’Olivier ? Écoute-les… elles sont significatives : — « Demain le combat ; — me disait-il avec exaltation. — Ah ! je le sens là au cœur… je serai tué ou nommé sous-lieutenant sur le champ de bataille… Si j’avais ce bonheur… — ajouta t-il en attachant sur moi son regard étincelant.

« — Peut-être vous tiendriez votre promesse, Victoria ? » t’a dit sans doute Olivier, — demanda Jean Lebrenn, — « peut-être, fière de ma vaillance, partageriez-vous mon amour ?… »

— Non, non ! sa première pensée a été tout autre… — « Ah ! si j’avais le bonheur d’être nommé demain sous-lieutenant, — a-t-il ajouté, — j’aurais fait mon premier pas vers les hauts commandements. Hoche, notre général en chef, n’était sous-lieutenant qu’à vingt-deux ans, et moi je le serais à dix-huit ans… Ah ! quel avenir ! quel avenir s’ouvrirait devant moi !… » Puis, s’absorbant dans les rêves de cet avenir, Olivier a gardé assez longtemps le silence ; mais soudain, comme par réminiscence, se reprochant sans doute l’oubli de son amour, il a repris : — « Peut-être alors, Victoria, me jugeant enfin digne de toi, je goûterais l’enivrement de la gloire et du bonheur ? » Tu le vois donc, mon frère, la première pensée d’Olivier, en songeant au grade qu’il peut demain conquérir, n’a pas été, merci Dieu, un ressouvenir d’amour… mais un rêve d’ambition guerrière…

Au moment où Victoria prononçait ces dernières paroles, elle vit, ainsi que Jean Lebrenn, sortir de la maison commune le jésuite Morlet