Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/136

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se trouble, et, éperdu, il court à une fenêtre et s’efforce de se cacher en s’enveloppant dans les rideaux, tandis que Charlotte sort vivement du salon, dont elle referme la porte. Madame Desmarais, jetant un regard de dégoût mêlé de pitié sur son mari, voilé par les rideaux, agités par le tremblement convulsif du misérable qu’ils abritent, dit en soupirant : — Quelle lâcheté, grand Dieu ! il est capable de devenir fou de peur. Ah ! puisse du moins cette terrible leçon lui profiter, le rendre meilleur ! Mais il faut absolument le satisfaire, le cacher quelque part, sinon ce serait pour lui une agonie de tous les instants.

— Bonne nouvelle, ma mère, — dit Charlotte, rentrant en tenant une lettre à la main. — Écoutez ce que Jean m’écrit. — Puis, s’interrompant et cherchant des yeux l’avocat : — Où est donc mon père ?

Madame Desmarais, du geste, indique à sa fille la croisée, dont les rideaux dessinent la forme de l’avocat et laissent voir ses pieds, puis elle ajoute tout bas : — Si nous ne cachons pas ton père quelque part, il mourra d’angoisse et de frayeur.

— Cette frayeur est insensée, mais enfin je partage ton avis, — répond Charlotte, aussi à voix basse ; — nous pouvons le conduire dans l’appentis du grenier qui ferme à clef ; mon père se trouvera là, sans doute, en sécurité.

— En effet ; mais quelles nouvelles Jean te donne-t-il ?

— Je vais te lire son billet, — répond la jeune femme ; puis, se dirigeant vers la fenêtre, dont elle écarte les rideaux, elle voit son père, livide, se soutenant à peine au chambranle de la croisée.

— Ce gendarme, — balbutie l’avocat, de qui les dents se heurtent de terreur, — ce gendarme, que voulait-il ?

— Il m’apporte de bonnes nouvelles, venez les entendre, mon père, — dit Charlotte prenant l’avocat par la main et l’amenant au milieu du salon ; — je vais, tout à l’heure, vous conduire là-haut, dans un réduit où vous serez en sûreté ; voici ce que m’écrit Jean :

— Chère et bien-aimée femme, tout va bien jusqu’ici, le conseil général de la commune est presque au complet ; nous avisons à des mesures énergiques et promptes ; promptes surtout, car la Convention agit de son côté. Une heure de retard nous serait fatale ; je profite d’une ordonnance de gendarmerie, se rendant à la barrière de Monceaux, pour donner l’ordre de la fermer ; ce cavalier te remettra ce billet. Nous sommes en séance, la majorité des sections est avec nous, l’on nous apprend à l’instant que les faubourgs Antoine et Marceau sont prêts à marcher ; nous attendons leurs délégués ;