Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/14

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saint sacrement »), prêtait aux instances de Hoche une attention silencieuse. L’inflexibilité de ses grands traits pâles, rigides, puissamment caractérisés, encadrés d’une longue chevelure plate et noire, leur donnait un caractère d’impassibilité sculpturale. La vie, l’ardeur semblait concentrée dans son regard profond et méditatif, où étincelait la flamme du génie révolutionnaire dont l’immortel éclat sera l’auréole de ce grand citoyen. Saint-Just et Hoche, ainsi conversant, arrivèrent jusqu’au milieu de la cour, laissant à quelques pas d’eux les autres représentants du peuple et les généraux.

— Citoyen Saint-Just, — répétait Hoche d’une voix émue, suppliante, — je t’en prie, je t’en conjure, épargne-moi ce fardeau, il est au-dessus de mes forces… je n’ai que du courage et du patriotisme.

— La république en juge autrement, — répond Saint-Just de sa voix âpre et brève ; — il faut obéir…

— En mon âme et conscience, je ne me sens pas à la hauteur du commandement en chef des deux armées ; je ne peux l’accepter.

— Il le faut…

— Eh bien, je l’avoue, citoyen Saint-Just, une si grande responsabilité m’épouvante…

— La victoire te rassurera.

— La victoire ! — dit Hoche avec une défiance amère, — et si je suis battu en cette bataille qui doit être décisive ?… je serai peut-être traduit devant le tribunal révolutionnaire… Il y va de ma tête… Je suis soldat… je ne crains pas la mort ; ce que je crains, c’est la honte de l’échafaud qui souillera ma mémoire !

— Cette crainte est salutaire.

— Mais, citoyen représentant, cette crainte ne suffit pas à conjurer la défaite.

— Citoyen général, il est des défaites glorieuses, il en est d’infamantes… Celles-là seules sont punies de mort et notées d’infamie. — Puis, d’un geste significatif, faisant comprendre à Hoche la vanité de nouvelles insistances, Saint-Just ajoute en se remettant en marche : — À demain, citoyen général ; nous monterons à cheval au point du jour… La république compte sur toi… elle doit y compter… Tu seras digne de sa confiance… tu mériteras bien de la patrie.

— À demain donc ! — dit Hoche, songeant avec une sorte d’accablement à la terrible responsabilité qui, dès ce moment, pesait sur lui et dont sa modestie s’alarmait, — à demain… Que ma destinée