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LES JOURNÉES DE BRUMAIRE
17 BRUMAIRE

Les scènes suivantes se passent dans l’atelier du citoyen Martin, membre du conseil des cinq-Cents et ancien chef de bataillon des volontaires parisiens qui combattirent si vaillamment à la bataille des lignes de Wissembourg, gagnée par le général Hoche. Des tableaux achevés ou des ébauches représentant des épisodes de nos guerres républicaines sont placés çà et là sur des chevalets ; des moules de statues antiques, des études d’après nature, garnissent les murailles du vaste atelier, où l’on remarque aussi une panoplie composée des vieilles épaulettes du commandant Martin, de ses armes de guerre et de son chapeau militaire, percé de deux balles. Il vient d’embrasser avec l’effusion d’une ancienne et sincère amitié Jean Lebrenn, qui a déposé sur un meuble le sac de voyage dont il était chargé.

JEAN LEBRENN. — Combien je suis heureux de vous revoir, mon ami, après une si longue séparation !

MARTIN. — Elle était du moins rendue moins pénible pour moi, grâce à notre fréquente correspondance. Comment se portent votre digne femme, votre petit Marius et madame Desmarais ?

LEBRENN. — J’ai laissé ma famille en parfaite santé ; ma belle-mère continue de raffoler de son petit fils…


MARTIN. — Et de le gâter en vraie mère grand’, cela va de soi. Et votre commerce de toiles prospère-t-il toujours ?

LEBRENN. — Toujours.

MARTIN. — Ainsi, votre quasi-solitude de Vannes ne vous pèse pas à vous et aux vôtres ?

LEBRENN. — Tant s’en faut : le voisinage de la mer, les côtes si pittoresques de la vieille Armorique nous offrent les plus grands spectacles de la nature ; tout nous intéresse, jusqu’à ces antiques pierres de Karnak qui nous rappellent tant de souvenirs de famille, et vers lesquelles nous faisons de fréquents pèlerinages, en passant par le creg où s’élevait, il y a dix-huit siècles et plus, la demeure de notre aïeul Joël.

MARTIN. — Le brenn de la tribu de Karnak, selon votre légende. Je comprends combien doit vous plaire ce pays, berceau de votre race.

LEBRENN. — Et cependant il nous faudra quitter notre retraite.