Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/234

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que mon âge et le grade que je dois à mon épée rendent peu convenables des familiarités permises alors que j’avais dix-sept ans.

CASTILLON. — Pardon, excuse, monsieur le marquis. Ah ! c’est comme cela que l’on se comporte à l’état-major du général Bonaparte : c’est bon à savoir. (Échangeant un regard d’intelligence avec Lebrenn.) Ça apprendra bien des choses ; entre autres comment dans ce monde-là on pratique l’égalité, la fraternité républicaines.

LE COLONEL OLIVIER, d’un ton rude, à Duchemin. — Quant à toi, qui es encore au service, n’oublie pas que l’on met les insolents au cachot et que l’on fusille les insubordonnés.

DUCHEMIN. — Mon colonel, je…

LE COLONEL OLIVIER. — Tais-toi !

DUCHEMIN. — Mais, mon colonel…

LE COLONEL OLIVIER. — Va-t’en !

CASTILLON. — Allons, bouche close, et viens-t’en, mon vieux camarade, vu que tu n’as que le choix entre le cachot ou la fusillade ; mais, moi, qui, en ma qualité de citoyen, n’ai souci ni du cachot, ni de la fusillade, ni des épaulettes à graines d’épinards, je te dis ceci, à toi, Olivier, entends-tu ? pauvre enfant du peuple, entends-tu ?… pauvre orphelin, ramassé dans la rue par la charité de l’ami Jean… tu méprises tes frères ; soldat de la république, à qui tu dois tes grades, tu n’es qu’un ingrat, car tu conspires contre elle.

LE COLONEL OLIVIER, exaspéré, menaçant. — Ne me pousse pas à bout, misérable, ou sinon…

CASTILLON. — Et puis après ? Voyons, si tu n’es pas content, veux-tu que nous nous rafraîchissions d’un coup de contre-pointe ? J’ai encore mon sabre de volontaire de la république ; mais, non, n’est ce pas, tu es trop aristocrate pour te battre avec une canaille d’ouvrier ?

LE COLONEL OLIVIER, à Lebrenn. — Comment se fâcher de pareilles sottises ; il faut avoir pitié de ce vieux fou !

CASTILLON, tristement. — C’est toi qui me fais pitié… vrai, grand’pitié, Olivier, car lorsque tu étais apprenti et plus tard soldat dans l’armée de Hoche, je t’aimais comme un brave enfant. Adieu… et merci ; car, grâce à toi, j’en ai plus appris en cinq minutes qu’en cinq ans. Ah ! comme je vais m’empresser d’instruire les sans-culottes du faubourg de ce qu’ils doivent attendre de la république du petit caporal, qu’ils croyaient, comme je l’ai cru aussi, un patriote de la trempe de Hoche et de Marceau. La république de ton général… la voici, comme disait l’ancien. — « Silence dans les rangs, pékins ! attention au commandement… et… arche ! » (À Duchemin, tout bas.)