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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/235

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— Et là-dessus… arche ! aux faubourgs, mon vieux !

Castillon et Duchemin sortent, Martin les suit, Lebrenn l’ayant prié de le laisser pendant quelques moments seul avec le colonel Olivier. Celui-ci garde un silence embarrassé.

LEBRENN. — Les reproches de Castillon vous ont ému, Olivier, tant mieux, c’est un bon symptôme.

LE COLONEL OLIVIER. — Ces insolences m’émouvoir ! détrompez vous… elles ne pouvaient m’atteindre ; je regrette de ne pas leur avoir répondu par le dédain qu’elles méritaient… Mais laissons ces misères, et parlons de vous, mon cher Lebrenn.

LEBRENN. — Parlons plutôt de vous, Olivier ; parlons aussi de ma sœur, de qui la mémoire doit être sacrée pour vous.

LE COLONEL OLIVIER. — Pouvez-vous en douter ?

LEBRENN. — Oui, j’en doute.

LE COLONEL OLIVIER. — Quoi ! me soupçonner capable d’oublier Victoria !

LEBRENN. — Ah ! ses tristes prévisions à votre sujet se sont réalisées ; son héroïque dévouement pour vous aura été stérile…

LE COLONEL OLIVIER. — Ai-je donc trahi la république ? Ne l’ai-je pas servie de mon épée ?

LEBRENN. — Vous avez servi votre ambition militaire, et à cette ambition, vous êtes au moment de sacrifier la république, à qui vous devez tout. (Mouvement du colonel.) Oui, tout ! Que seriez-vous donc à votre âge sans la révolution ? Soldat aux gardes françaises comme votre frère Maurice, si vous aviez suivi votre vocation militaire, et comme lui peut-être vous auriez-péri sous le bâton de votre colonel ! Vous étiez orphelin, abandonné ; ma sœur, ma femme et moi, nous avons veillé sur vous avec sollicitude.

LE COLONEL OLIVIER. — Ma reconnaissance envers vous et votre famille sera éternelle.

LEBRENN. — Je ne vous parle pas de ces bienfaits pour faire appel à votre gratitude, Olivier, mais afin que vous vous souveniez que vous êtes, comme nous, enfant du peuple ; et cependant, tout à l’heure, avec quelle sécheresse hautaine vous avez accueilli Castillon.

LE COLONEL OLIVIER. — Vous allez peut-être aussi m’accuser d’être un aristocrate !

LEBRENN. — Je vous accuse de n’avoir plus même conscience de la valeur de ces trois mots : liberté, égalité, fraternité, — symbolique devise de la république.

LE COLONEL OLIVIER. — Telle est donc ma trahison ?