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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/245

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même à cette fatale aberration, nous assurait que, sauf quelques anciens patriotes et les ouvriers de la brasserie de Santerre, le faubourg Antoine resterait neutre, s’il n’acclamait pas la dictature du général Bonaparte, seul capable, dit-on, de consolider la république.

MARTIN. — Morbleu ! un tel aveuglement est encore plus bête qu’odieux !

LEBRENN. — C’est vrai, c’est surtout bête… Quoi de plus bête en effet que l’aplatissement de cette nation, qui a fait trembler l’Europe. Admirablement gouvernée par elle-même au milieu des effroyables crises de 1793 et de 1794, elle en est sortie triomphante, et aujourd’hui ses armées victorieuses au dehors, en pleine paix intérieure, sauf le froissement passager de quelques-uns des rouages du gouvernement, cette nation, dupe d’une poignée de fourbes et d’ambitieux, vient, sans autre motif qu’une peur stupide et une non moins stupide défiance d’elle-même, se jeter, effarée, pieds et poings liés aux genoux d’un soldat audacieux, en lui criant : « Sauvez-moi ! » Oui, ceci est encore plus bête qu’odieux. Or, en vertu de la justice et de la raison éternelle, ce qui est odieux, ce qui est bête porte en soi un germe d’impuissance et de mort. La dictature militaire causera, je le crains, je le crois, des maux incalculables, mais sa durée sera éphémère. Le peuple aura un jour honte de lui-même, et le progrès n’en continuera pas moins sa marche éternelle.

MARTIN. — Soit, l’avenir vengera le présent, mais le présent n’en est pas moins déplorable et douloureux pour les gens de cœur et de bon sens.

LEBRENN. — Je le reconnais comme vous, mon ami ; aussi je suis loin de penser qu’il faille croire à l’inévitable fatalité de certains faits et se croiser les bras, se disant : « Qu’importe ! l’avenir est à nous ! » Non ! non ! le mal peut toujours être conjuré ; donc, tentons de combattre par tous les moyens possibles la dictature du général Bonaparte ! Accomplissons notre devoir jusqu’à la fin, et s’il nous faut un jour subir passagèrement la tyrannie, nous aurons du moins la conscience d’avoir vaillamment défendu la liberté.

MARTIN. — Donc, à l’œuvre : je vais à l’Assemblée, nous devons nous réunir avant la séance, afin d’aviser ; nous allons connaître les réponses que mes collègues Delbrel et Grandmaison auront reçues de Bernadotte et de Moreau.

DURESNEL. — Moi, je vais de nouveau parcourir les cafés, les endroits publics, afin de sonder encore l’opinion générale.

LEBRENN. — J’ai conservé quelques relations avec Duchamp,