Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/27

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de lui le jeune Rodin, qui, du choc, va s’asseoir à dix pas sur le fond de sa culotte ; puis, se relevant prestement, il poursuit de sa voix glapissante, à la croissante admiration du jésuite : — Donc, général, si vous envoyez mon doux parrain chez les anges, je révélerai au citoyen Saint-Just votre trahison.

— D’où il suit, général, — ajoute le révérend, — que vous n’ayez d’autre moyen de salut que de favoriser notre fuite… et, si vous êtes prudent, de nous accompagner en portant au quartier général autrichien ce que vous savez du plan de bataille de demain.

— Cette fenêtre basse donne sur la campagne, — reprend Rodin soulevant avec peine dans sa rainure le châssis supérieur de la croisée ; — nous pouvons, général, nous évader de ce côté avant le retour de votre aide de camp… Le reste, à la grâce du Seigneur Dieu ! qui veillera sur son indigne petit serviteur et sur son doux parrain.

— L’aube naissante nous permettra d’éviter la ligne des vedettes, parmi lesquelles nous sommes tombés cette nuit, égarés dans le brouillard, — ajoute le révérend, s’approchant à son tour de la croisée, à travers laquelle on distinguait les premières blancheurs de l’aube ; puis, s’adressant à Donadieu, éperdu de terreur et dont le visage ruisselait d’une sueur glacée : — Allons, général, débarrassez-moi vite de mes liens… Hâtez-vous… votre aide de camp peut rentrer d’un moment à l’autre.

— Ah ! que faire… que faire ! — balbutie le général, en proie à une sorte d’égarement ; — mon aide de camp va revenir avec les ordres de Saint-Just… et, quels qu’ils soient, l’évasion de ces prisonniers me perd… Je serai soupçonné de l’avoir favorisée… et le soupçon, c’est la mort… en ces exécrables temps !

— Doux parrain ! — s’écrie Rodin, qui venait de fureter dans la chambre et d’ouvrir une porte conduisant à une autre pièce complètement obscure, — écoutez mon avis, il est sage. Le général ne veut pas fuir avec nous… il va nous laisser évader… Il dira à son aide de camp, qu’étant entré pendant quelques instants dans la chambre voisine… nous avons sans doute profité de son absence momentanée pour nous sauver par cette fenêtre… puis qu’à son retour ici, nous avions disparu.

— Prodigieux enfant ! — s’écrie le jésuite, — quelle présence d’esprit… quelle fécondité d’imagination ! — et s’adressant au général : — Mon fillot a raison… vous n’avez d’autre parti à prendre ! Vous serez accusé de négligence… c’est grave… mais vous avez au moins des chances d’échapper aux soupçons de Saint-Just.