Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/28

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— D’autant plus que si le général avait eu l’intention de favoriser notre fuite… il n’aurait pas envoyé son aide de camp prendre les ordres du susdit Saint-Just, — ajoute judicieusement Rodin. — Vous avez donc toute chance de ne pas être inquiété pour notre évasion, général. Sinon… si vous faites fusiller mon doux parrain… je vous dénoncerai à Saint-Just… et je vous ferai couper le cou… moi… général… Ah mais, dame, oui !… je vous le ferai couper, votre cou !

Le raisonnement du fillot du jésuite était péremptoire ; le général Donadieu dut choisir, et choisit, des deux éventualités, la moins dangereuse. Il dit au révérend, en le dégageant précipitamment de ses liens : — Fuyez vite. Vous trouverez à cent pas d’ici un bouquet d’arbres en dedans de la ligne de nos avant-postes… Cachez-vous là… restez-y jusqu’à ce que vous entendiez le canon… La bataille sera engagée en avant de ce bourg… vous n’aurez donc plus rien à craindre… Partez, — ajouta le général soulevant entièrement le châssis supérieur de la fenêtre, — partez vite.

— Je ne serai pas ingrat, — dit le jésuite en passant par l’issue qu’on lui ouvrait ; — lorsque je rejoindrai le quartier général du prince de Condé, je lui dirai qu’il peut toujours compter sur vous.

— Doux parrain, votre petit fillot a travaillé une fois de plus ad majorem Dei gloriam, — ajoute le hideux enfant en se glissant comme une couleuvre par l’ouverture de la fenêtre ; puis il disparaît ainsi que le jésuite à travers la demi-obscurité du crépuscule naissant.

— Il ne me reste qu’à passer à l’ennemi si Saint-Just me soupçonne ! — se dit le général Donadieu, prenant le chandelier déposé sur une table et s’empressant de se rendre dans la pièce voisine où il comptait demeurer jusqu’au retour de son aide de camp, afin de donner quelque vraisemblance à la fable imaginée par le fillot du révérend, pour expliquer l’évasion des deux prisonniers.

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LE 6 NIVOSE AN II (25 décembre 1794). — Vers les huit heures du matin, par une brume si épaisse qu’ils ne pouvaient presque rien distinguer à dix toises devant eux, Saint-Just et Hoche marchaient côte à côte au pas de leurs chevaux, précédés de quelques cavaliers détachés en éclaireurs, que l’on apercevait à peine en forme confuse à travers le brouillard. Un groupe d’aides de camp et d’officiers d’ordonnance, qu’escortait un piquet de dragons, se tenait à peu de distance du représentant du peuple et du général en chef.