Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/279

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de cette vaste conspiration dénoncée au conseil des Anciens quand tout Paris jouissait de la plus parfaite tranquillité ; mais, je l’avoue, à la parfaite sécurité que j’ai remarquée sur la physionomie de ceux qui ont applaudi à la translation, je crois pouvoir assurer qu’ils ne sont pas très-effrayés de cette vaste conspiration, et qu’on a pris soin de les prévenir de ce que l’on voulait faire de nous en nous transférant à Saint-Cloud.

Soudain l’une des portes de l’orangerie s’ouvre avec fracas, et l’on voit apparaître au seuil de la salle le général Bonaparte, entouré de généraux et d’aides de camp, suivi d’une compagnie de grenadiers, baïonnettes au bout du fusil. À l’aspect de cette invasion de la force armée dans la salle de leurs séances, une commotion électrique fait bondir sur leurs bancs tous les représentants du peuple ; leur indignation éclate et les clameurs se croisent de toutes parts : — Quoi ! des baïonnettes ici ! — Des traîneurs de sabre ! — À bas le dictateur ! — Le général Bonaparte, malgré son impérieuse assurance, est intimidé par le soulèvement que provoquent sa présence et celle de ses soldats ; il se découvre et du geste témoigne qu’il veut parler ; il va dépasser le seuil de l’entrée de la salle, lorsque le représentant du peuple Bigonnet se précipite au-devant de lui et lui barrant le passage ainsi qu’à son escorte armée, il s’écrie d’une voix éclatante : — Retirez-vous… téméraire… retirez-vous à l’instant… vous violez le sanctuaire des lois ! — Cette apostrophe du représentant du peuple, son attitude énergique, impressionnent vivement le général Bonaparte ; il pâlit, hésite et s’arrête une nouvelle explosion de violentes clameurs retentit dans la salle : — À bas le dictateur ! — Hors la loi l’audacieux ! — Vive la constitution ! — Mourons à notre poste ! — Vive la république ! — Le général Bonaparte, dominant son émotion croissante, redresse la tête d’un air altier, semble d’un geste de commandement exiger la parole ; il va franchir l’entrée de la salle, suivi de ses aides de camp, lorsque plusieurs représentants s’élancent au-devant de lui, le somment de se retirer, et le citoyen Destrem s’écrie d’une voix indignée : — Général, as-tu donc vaincu pour insulter à la représentation nationale ? — et de nouveau se font entendre, avec un redoublement d’énergie, les cris : Vive la constitution ! — Hors la loi le dictateur ! — Le général Bonaparte, blême de courroux, mais atterré, recule devant la réprobation unanime dont il est l’objet, fait un signe à ses officiers, dont plusieurs portaient la main à la poignée de leur sabre, et sort précipitamment, suivi de son escorte, aux cris de : Vive la république !