Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/284

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que les représentants du peuple restent d’abord frappés de stupeur, puis une foule de voix s’écrient : — Nous sommes trahis ! Notre président va se concerter avec le général Bonaparte. — L’agitation de l’assemblée est à son comble.

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Lucien Bonaparte, escorté d’un peloton de grenadiers, a quitté précipitamment la salle du conseil des Cinq-Cents et s’est dirigé vers un rassemblement de troupes considérable, infanterie et cavalerie, disposées en ligne au milieu de la vaste pelouse du parc de Saint-Cloud. Un assez grand nombre de gens, habitants de la commune ou venus de Paris, attirés par la curiosité, se tiennent derrière les rangs des soldats ; au nombre de ces spectateurs se trouvent Jean Lebrenn et Duresnel ; des aides de camp et des généraux entourent le général Bonaparte, placé devant le front des troupes ; il est très-pâle et en proie à une vive anxiété, car le bruit s’est répandu parmi la foule et les soldats qu’il vient d’être mis hors la loi par décret du conseil des Cinq-Cents. Le décret de mise hors la loi par une assemblée exerçait encore une telle influence sur les esprits, malgré la déconsidération où était tombée la représentation nationale, que les soldats eux-mêmes semblaient disposés à hésiter devant l’accomplissement des ordres qu’ils pourraient recevoir de leur général mis hors la loi. Bonaparte, grâce à sa profonde intelligence du caractère des soldats, jugeait à leur attitude morne ou indécise, que son influence sur eux allait peut-être en cette occasion échouer devant le décret dont il était frappé ; en ce cas, il se voyait perdu… Soudain Lucien, accourant et feignant la plus vive et la plus sincère indignation, rejoint son frère, lui dit quelques mots qui le rassurent, le raniment ; car la séance de cette journée tournait contre lui sans la présence d’esprit de Lucien. En effet, celui-ci, se portant au devant du front des troupes, s’écrie d’une voix assez retentissante pour être aussi entendue des spectateurs :

« Citoyens soldats ! moi, président du conseil des Cinq-Cents, je vous déclare que l’immense majorité de ce conseil est dans ce moment sous la terreur de quelques représentants à stylet, qui assiègent la tribune, présentent la mort à leurs collègues, et enlèvent les délibérations les plus affreuses. »

Ce mensonge d’une incroyable audace, prononcé avec l’accent de la sincérité par le président du conseil des Cinq-Cents, affirmant que la majorité de ce conseil cédait à la pression de quelques représentants