Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au nombre de cent quarante, sont déportés à Cayenne, malgré leur complète innocence attestée par Fouché lui-même, prouvant, pièces en mains, au général Bonaparte, que les chefs du complot de la machine infernale étaient deux anciens chouans, Georges Cadoudal et Saint-Régent.


Du 8 janvier 1801 au 2o mars 1802, les différentes puissances en guerre avec la France demandèrent tour à tour la paix. L’Angleterre la signa la dernière à Amiens. Cette paix devait être éphémère ; mais Bonaparte profite de ces jours de calme pour restaurer une grande partie des abus détruits par la révolution, et jette les premières bases de son futur pouvoir héréditaire : profondément sceptique, mais considérant la religion comme un instrument de domination, et voulant se ménager l’appui du clergé, il traite avec le pape, afin de rétablir le catholicisme dans tout son lustre. Il fonde l’ordre de la Légion d’honneur, rétablissant ainsi l’inégalité sociale et substituant les vaniteuses distinctions de l’ancienne chevalerie à cette formule républicaine d’une grandeur et d’une simplicité antiques : — Citoyen, tu as bien mérité de la patrie ! — récompense civique dont se montraient si jaloux, si fiers, les armées et les généraux de la trempe de Hoche et de Marceau. Bientôt le calendrier républicain est remplacé par le calendrier grégorien ; enfin, le premier consul brave audacieusement le courant de l’opinion publique, en remontant de plus en plus vers les traditions surannées de l’ancien régime. Une cérémonie religieuse a lieu à Notre-Dame à propos du concordat ; Bonaparte s’y rend en apparat presque royal dans les anciens carrosses de la cour de Louis XVI. Au retour de celle momerie religieuse, le premier consul demande au général républicain Delmas :

« — Comment avez-vous trouvé la cérémonie ?

» — C’était une belle capucinade, répond Delmas, — il ne manquait à la fête qu’un million d’hommes qui se sont fait tuer pour détruire ce que vous rétablissez. »

Ces paroles profondes pouvaient s’appliquer à toutes les impolitiques reconstitutions d’un passé profondément antipathique à la nation, et que projetait déjà Bonaparte dans son vulgaire orgueil de parvenu. La fondation de l’ordre de la Légion d’honneur n’était qu’un acheminement vers la création d’une nouvelle noblesse ; le premier consul avait à ce sujet des idées tellement arrêtées, que présidant un jour le conseil d’État, lequel, malgré ses habitudes de servile obédience, se montrait très-récalcitrant à l’endroit de la Légion d’honneur : — « Vous appelez cela des hochets ? — osa dire le