Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vieux Castillon ; et moi, je n’ai pas le droit de m’offenser de tes railleries, elles sont méritées. J’étais un pauvre enfant abandonné ; Jean Lebrenn, notre ancien patron, m’a recueilli par charité ; j’ai rougi de ma naissance ; j’ai oublié, dans la fièvre d’une vanité ridicule, que je sortais des entrailles du peuple, et que le plus beau des titres était celui de citoyen ; j’avoue mes torts, que veux-tu de plus ?

CASTILLON, ému, serrant la main du général. — Je ne veux rien de plus, mon garçon. Nom d’un nom ! tu me dis ça d’un air qui me fait venir les larmes aux yeux. Pardon, excuse, je vois que tu es revenu de loin ; car, dame, je te croyais encore aussi fier que le jour que tu as menacé l’ami Duchemin, que voilà, de le faire fusiller.

DUCHEMIN, riant et saluant militairement. — Présent, mon général, Vous ne vous rappelez pas de moi au passage de la Bérésina ?

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Ma foi, non, mon brave ; et, d’ailleurs, on n’avait guère le temps de se regarder entre les yeux, à ce moment-là !

DUCHEMIN. — Sans compter que j’avais à mes moustaches des glaçons de six pouces de long, et le nez tricolore, comme ma cocarde, ce qui me défigurait. Je servais dans l’artillerie de la garde ; vous étiez démonté, mon général, et j’ai failli vous écraser sous les pieds de mon cheval ; je voulais faire passer ma pauvre Javotte.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Votre femme ?

DUCHEMIN. — Eh non, mon général, ma pièce de six !

LE GÉNÉRAL OLIVIER, riant. — Bien, bien, un autre amour de bouche à feu, à la façon de Carmagnole, si connue jadis à l’armée de Rhin et Moselle !

CASTILLON, s’adressant au général Olivier, et désignant du geste Duresnel, qui entre en ce moment. — Voici encore un des anciens de Rhin et Moselle, un ex-volontaire du bataillon de volontaires parisiens, lequel volontaire avouait crânement qu’il mourait de peur d’avoir peur. Depuis, il s’est battu en vrai républicain !

JEAN LEBRENN, à Duresnel. — Ah ! mon ami, si vous ne nous apportez pas de meilleures nouvelles que celles que vient de nous donner Martin, notre réunion d’aujourd’hui n’a plus de but.

DURESNEL, soupirant. — Consummatum est ! Je sors de la Chambre des députés, l’empereur a envoyé son abdication, et il se dispose, dit-on, à partir pour la Malmaison, où il attendra que les souverains alliés décident de son sort.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Il pouvait décider du leur en appelant le peuple aux armes.