Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/343

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JEAN LEBRENN, à Duresnel. — Et de l’armée, quelles nouvelles ?

DURESNEL. — Le prince d’Eckmühl qui commande les troupes réunies sous les murs de Paris, a rassemblé cc matin tous ses généraux, et ils ont, en immense majorité, signé leur adhésion au gouvernement des Bourbons. L’un des rares opposants disait, et prouvait, que l’on pouvait défendre Paris. « L’on voit bien, général, que vous ne possédez que vos épaulettes, vous qui vous obstinez à vouloir continuer la guerre, » lui a répondu le prince d’Eckmühl. — Ce mot dit le fond de la trahison. Cet infâme Fouché triomphe ; nous allons subir la honte d’une seconde restauration. Mais, j’y songe, quelle a été la réponse de Carnot à nos amis ? Avais-je tort de douter de sa résolution ?

JEAN LEBRENN. — Non, sa réponse a été celle que vous supposiez ; Carnot refuse de se mettre à la tête du mouvement ; et Napoléon, cet homme de la légalité, comme vous savez, se retranche dans son respect pour la souveraine omnipotence de la Chambre des pairs. Quant à lui, dit-il, son rôle est fini.

DURESNEL. — Son rôle d’empereur absolu, oui, mais une ère nouvelle et magnifique s’ouvrait devant lui.

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Ah ! de son vivant même, l’empereur portera la peine de son erreur, car s’il eût généreusement mis son épée au service de la république, et qu’après la victoire il fût rentré dans la vie privée, il aurait toujours été le plus grand citoyen du pays, et il eût vieilli entouré du respect, de l’admiration de tous ; mais il va tomber entre les mains de la coalition. Blücher est possédé de l’idée de le faire pendre, s’il parvient à s’emparer de lui, et sa pointe insensée jusque sous les murs de Paris n’a pas d’autre but que de mettre la main sur l’empereur [1].

JEAN LEBRENN. — Quelle fin ! Dieu juste ! pour le plus grand capitaine des temps modernes ; Napoléon, pendu par ordre de ce soudard prussien !

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Et pourtant, si odieuse que soit une pareille mort, elle serait préférable, je crois, au sort qui attend l’empereur s’il échappe aux poursuites de Blücher.

JEAN LEBRENN. — Que voulez-vous dire ?

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — Un colonel anglais, fait prisonnier à Ligny, et aide de camp de Wellington, me disait la veille de la bataille

  1. Tel était en effet le projet de Blücher. Voir la dépêche où Wellington le supplie de renoncer à ce dessein sauvage.