Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/345

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LE GÉNÉRAL OLIVIER, ému. — Ah ! j’accepte de grand cœur ; ainsi, à ce soir !

TOUS. — À ce soir !… (Ils sortent.)

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Il est huit heures du soir, le jour touche à sa fin ; l’ombre s’étend déjà sous les épais ombrages du jardin de l’Élysée, où est descendu Napoléon à son retour de Waterloo. Une foule compacte encombre l’allée de Marigny, dont l’un des côtés est borné par la terrasse du palais, plantée d’arbres et de massifs de verdure. Cette foule est presque entièrement composée d’artisans et des fédérés des faubourgs. De temps à autre, le bourdonnement bruyant de ces groupes innombrables est dominé par les cris que poussent des milliers de voix : — À bas les Bourbons ! — À bas l’étranger ! — À bas les traîtres ! — Des armes ! — Aux frontières ! — Vive l’empereur ! — Ce dernier cri : Vive l’empereur ! est cependant, depuis la veille, devenu plus rare. — Le peuple comprend enfin que Napoléon, dont il a salué le retour avec tant d’espérance, abandonne la France au malheur de ses destinées, plutôt que de faire appel aux masses et à l’élan révolutionnaire qui, seuls, pourraient assurer le salut de la patrie.

Jean Lebrenn achève sa faction, se promenant de long en large, et l’arme au bras, sur la terrasse du jardin de l’Élysée, masquée par d’épais bosquets du côté de l’avenue. — L’on entend au dehors les acclamations de la foule. — À bas les traîtres ! — À bas les Bourbons ! — Des armes ! — L’empereur ! l’empereur !

À ce moment, Napoléon, coiffé d’un chapeau rond et vêtu d’un habit bourgeois, débouche d’une allée aboutissant à la terrasse où Jean Lebrenn est en faction. L’empereur déchu se promène, rêveur, les mains croisées derrière le dos. L’obscurité, rendue plus sombre par la voûte des grands arbres de la terrasse, a empêché jusqu’alors Napoléon d’apercevoir le factionnaire. Il s’arrête soudain à son aspect, et cédant à son habitude de questionner brusquement ceux qu’il rencontre, il dit à Jean Lebrenn, qui se met au port d’armes : — Avez-vous servi ?

JEAN LEBRENN. — Oui, sire. (À part.) Ainsi j’appelais « sire » Louis Capet, la veille de son procès, lorsque j’étais commis à sa garde dans la prison du Temple, et j’appelle Napoléon Ier, « sire » le jour de sa déchéance. Rapprochement étrange et étrange destinée de notre famille. Mes aïeux ont vu dans leur prison ou dans leur agonie les derniers