Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/356

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MARTIN. — C’est absurde ! Quoi ! une résistance pacifique ! lorsque Charles X et son ministère ont déclaré Paris en état de siège, massant des troupes afin de soutenir le coup d’État par la force ! lorsque la cité ressemble à une place de guerre ! lorsque les canons sont braqués sur les places publiques, parler de résistance légale !

CASTILLON, bourrant ses cartouches. — Oui, oui, je t’en flanque de la légalité ! En deux temps et quatre mouvements : joue… feu !

DURESNEL. — Il faut d’ailleurs rendre cette justice à M. Thiers : il a vivement insisté pour que la protestation des journalistes, qui a paru ce matin, fût revêtue de leurs signatures. Si les Bourbons triomphent, les signataires sont désignés à l’exil ou à la mort.

MARIK. — Soit ; mais cette protestation devient illusoire si elle n’est pas appuyée par la force ; l’on ne résiste à la violence que par les armes !

MARTIN. — C’est, en somme, la conviction de la masse de la population. Son vieil instinct révolutionnaire la guidera mieux que la voix de la presse. Je viens de parcourir plusieurs quartiers ; la fermentation populaire s’augmente d’heure en heure. Quelques attroupements, sommés d’évacuer la place de la Bourse, ont résisté, aux cris de : Vive la charte ! et ont assailli la troupe.

DURESNEL. — Je viens d’être témoin du même fait sur la place des Victoires et sur le boulevard Saint-Denis.

MARTIN. — Et même dans le quartier Saint-Honoré l’on se prépare à la lutte. Évidemment, Paris sera demain, au point du jour, hérissé de barricades. Les combattants afflueront par milliers ; plusieurs imprimeurs ont licencié leurs ateliers ; le brasseur Maës, du faubourg Marceau, est prêt à descendre dans la rue, à la tête de ses ouvriers. En traversant le passage Dauphine, je suis entré chez notre ami Joubert, dont la librairie est un véritable arsenal.

DURESNEL. — Plusieurs boutiques d’armuriers ont été envahies, et tantôt, j’ai rencontré sur la place de la Bourse le brave Étienne Arago escortant une charretée de sabres et de fusils provenant du magasin du théâtre du Vaudeville, dont il est directeur, lesquels armeront bel et bien les braves comparses du grand drame qui va se jouer demain, car ils ont été distribués chez Charles Teste, dont le logis, vous le savez, est connu sous le nom de la petite jacobinière.

MARTIN. — J’ai vu, ce soir, au faubourg Antoine, des femmes, des enfants, transporter des pavés aux étages supérieurs des maisons, afin d’écraser la troupe sous les projectiles.

MADAME LEBRENN. — Lorsque les femmes prennent part à une révolution,