Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/377

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bataillon sans le faire immédiatement remplacer par l’autre ; nous crûmes, en voyant les Suisses déserter en hâte la colonnade, qu’ils se débandaient ; cette créance redouble notre ardeur ; les grilles du Louvre sont arrachées ; nous entrons dans les cours, nous tombons à l’improviste sur la queue du bataillon, qui se rendait en hâte sous la colonnade pour y remplacer l’autre troupe. Cette attaque imprévue jette le désordre dans les rangs des Suisses. Nous les culbutons, et refoulés dans la cour et le jardin des Tuileries, où étaient massés d’autres bataillons, déjà harassés par ce combat de trois jours, les Suisses y portent l’alarme et la confusion. Les troupes se débandent ; en vain les officiers veulent les rallier, elles se retirent en désordre et battent en retraite vers les Champs-Elysées et le bois de Boulogne. La lutte était terminée ; je suis entré avec nos amis, Bastide, Guinard, Gauja et autres dans le château des Tuileries, et bientôt Thomas et Joubert plantaient le drapeau tricolore au sommet du pavillon de l’Horloge. Ah ! mes amis, j’éprouvais une émotion profonde, singulière, en revoyant ces appartements royaux où j’avais pénétré, il y a trente-huit ans, le 10 août, dans des circonstances pareilles, lors de cette immortelle journée qui précéda de quarante jours la proclamation de la république, et comme au 10 août, le peuple victorieux témoigna une fois de plus sa fière probité.

MADAME LEBRENN, à son fils. — Ton père assistait à la séance de l’Assemblée nationale du 10 août, et bien souvent il m’a raconté qu’à chaque instant des combattants des Tuileries apportaient à la barre de l’Assemblée des objets précieux trouvés dans les appartements, et jusqu’aux montres des officiers suisses tués dans le combat.

MARTIN. — Oui, et le soir du 29 juillet 1830, date non moins impérissable que celle du 10 août 1792, j’ai vu arriver place de la Bourse, où Charles Teste avait établi un poste, plusieurs grandes caisses garnies de toile grise : c’était l’argenterie des Tuileries et les ornements les plus précieux de la chapelle. Ceux qui escortaient ces trésors avaient les mains noircies par la poudre et étaient vêtus de haillons ensanglantés.

Jean Lebrenn et le général Olivier entrent dans la chambre ; madame Lebrenn se lève et dit à son mari, dans l’expansion de sa joie maternelle : — Notre fils est complètement revenu à lui, à la suite de ce sommeil prolongé qui nous rassurait déjà, Marik, environ une heure après ton départ, s’est réveillé la tête parfaitement libre ; nos dernières inquiétudes sont dissipées.

JEAN LEBRENN s’approche rapidement du lit, contemple un instant