Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/379

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insoucieux d’une blessure de plus ou de moins, je serais fâché d’avoir versé une seule goutte de mon sang, si je ne considérais que l’un des résultats de la victoire.

MARIK. — Ainsi… ce d’Orléans est roi de France ?

JEAN LEBRENN. — Il a été tout à l’heure acclamé à l’Hôtel de Ville lieutenant-général du royaume, et demain ou après-demain les 221 lui offriront la couronne. C’est convenu entre ces messieurs. Ils ont, tu le vois, mené l’affaire grand train et haut la main.

MARIK. — Mais nos amis sont donc restés l’arme au bras après le succès ? Et La Fayette ?

DURESNEL. — La Fayette ? il est enchanté d’être ainsi délivré de la responsabilité qui pesait sur lui depuis deux jours, et cet allégement le console de ne pas voir l’établissement de la république.

MARTIN. — Et il dépendait de lui qu’elle fût proclamée !

LE GÉNÉRAL OLIVIER. — De lui seul, car lui seul avait un nom assez populaire pour la faire accepter avec enthousiasme par l’immense majorité du pays.

MADAME LEBRENN. — Ainsi les caractères courageux, honnêtes, mais indécis, sont conduits souvent à des fautes équivalant à la trahison. Est-ce que pendant quinze ans le général La Fayette n’a pas, dans la Charbonnerie et ailleurs, constamment prêché la république, et aujourd’hui il la délaisse pour devenir le complice de la fondation d’une nouvelle royauté ! Un traître agirait-il autrement ? Et cependant La Fayette n’est pas un traître !

MARIK. — Mais, par quelles manœuvres ce d’Orléans a-t-il ainsi subtilisé la couronne ?

JEAN LEBRENN. — Olivier connaît deux ou trois officiers généraux familiers du Palais-Royal. Ils n’ont, dans l’ivresse du succès, rien caché à notre ami. Il te donnera de curieux détails à ce sujet. Quant à moi, je vais en quelques mots t’instruire de la marche des faits politiques durant ces trois jours.

MARTIN. — Marche fort simple d’ailleurs : tandis que le parti républicain se battait, les orléanistes intriguaient, se concertaient, agissaient tout à leur aise, de sorte que la bataille finie, le tour était fait, et la place prise.

MARIK. — Mais, morbleu ! cette place, le parti républicain pouvait ou pourrait encore la reprendre.

JEAN LEBRENN. — Oui, s’il avait La Fayette à sa tête ; mais, depuis que, présentant ce soir Louis-Philippe d’Orléans à la foule assemblée sous le balcon de l’Hôtel de Ville, le général a répété le rébus