Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/389

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surexcitation de ces trois journées de bataille succédait et devait succéder une sorte de lassitude morale et physique.

MARTIN. — Pour compléter le tableau et le contraste, mon cher Marik… il faut comparer le programme républicain au programme orléaniste… Il résumait les conquêtes de la révolution de juillet, selon M. Guizot, lequel suppliait humblement, au nom des intronisateurs de la dynastie d’Orléans, le nouveau roi de daigner octroyer à ses fidèles sujets : — « Le rétablissement de la garde nationale, — l’intervention d’un certain nombre de citoyens dans la formation des conseils généraux et municipaux, — le jugement du jury pour les délits de presse, — et la responsabilité des agents du pouvoir… » — Voilà en somme… les conquêtes de la révolution de juillet 1830, selon les hommes d’État de la nouvelle oligarchie bourgeoise.

JEAN LEBRENN. — Oui, c’est pour obtenir un pareil résultat que le peuple de Paris s’est battu depuis trois jours… c’est pour cela que nous avons risqué notre vie… que tu as versé ton sang, mon fils… et que nos vieux amis Castillon et Duchemin sont morts vaillamment comme tant d’autres patriotes, et…

MARIK, se dressant sur son séant. — Grand Dieu ! mon père… que dis-tu ?… Castillon…

JEAN LEBRENN, péniblement affecté, s’adressant à sa femme. — Notre fils ignorait donc ?…

MADAME LEBRENN. — Hélas ! mon ami… nous avions cru devoir cacher à Marik la triste vérité, de crainte de lui causer une sensation trop vive dans l’état où il se trouve.

JEAN LEBRENN. — Ah ! j’ai du malheur aujourd’hui !…

MARIK, essuyant ses yeux pleins de larmes. — Pauvre vieux Castillon… il m’aimait tant… et je l’aimais tant aussi… Il m’avait bercé sur ses genoux…

MADAME LEBRENN. — Depuis plus de quarante ans, jamais son dévouement, son amitié, ne nous avait fait défaut. Sa probité, son courage, égalaient sa fière délicatesse… Devenu vieux, il a préféré à l’oisiveté du repos que nous lui offrions près de nous, sa vie laborieuse et rude. — « Je n’ai ni femme ni enfant ; je peux encore, par mon travail, me suffire à moi-même, sans rien demander à personne, — nous disait-il toujours ; — mais si j’étais malade ou si je devenais invalide, — j’aurais sans honte recours à l’ami Jean… »

HÉNORY, les yeux humides. — « Si je vis bien vieux, — me disait cet excellent homme, — lorsque votre petit Sacrovir aura l’âge de