Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/44

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officiers de sa maison étaient groupés à quelque distance de lui ; il conversait alors avec le comte de Plouernel, aussi revêtu de l’uniforme de colonel de cuirassiers ; tous deux poursuivant ainsi leur entretien :

— Comte, savez-vous ce que m’a dit hier le prince de Condé en passant à Wissembourg pour se rendre à son quartier général de Lauterbourg ? Voici ses propres paroles : « La république n’est plus trahie par ses généraux… Nous sommes f… [1]. »

— Monseigneur, c’est trop tôt désespérer.

— Je ne désespère point, tant s’en faut ! mais l’observation du prince est juste… Le concert et la vigueur de l’attaque des généraux jacobins prouve que le temps des Dumouriez, des Biron, des Custine est passé… Nous ne devons plus compter sur des défections ou sur des trahisons pour écraser cette infernale république, dont le plus grand crime, à mes yeux, est d’avoir perdu mon misérable fils… — Et les traits du prince prenant une expression cruelle, il ajoute : — Comte, je puis être tué aujourd’hui… n’oubliez pas votre promesse.

— Je la tiendrai, monseigneur…

— Vous me le jurez ?

— Je vous le jure… foi de gentilhomme ; j’irai trouver le prince Frantz dans sa prison, et je lui dirai…

—… Que mes dernières pensées ont été des pensées de malédiction sur lui !… — s’écrie impétueusement le grand duc. — Puis il ajoute d’un air sinistre : — La justice aura son cours… mon tribunal suprême a jugé et condamné ce fils indigne… il a été convaincu de complot révolutionnaire contre la sûreté de mes États, de rébellion contre ma personne… il a encouru la peine de mort… J’ai fait surseoir jusqu’ici à son exécution… je ne veux pas qu’il me survive… Il s’efforcerait de réaliser ses exécrables desseins, mettrait le feu à la Confédération germanique, qu’il rêve de fédéraliser en république à l’imitation des cantons suisses. Les idées révolutionnaires n’ont que trop envahi l’Allemagne, et les projets de mon indigne fils pourraient réussir… Il subira donc, si je meurs aujourd’hui, la peine due à ses forfaits. Mon neveu Othon, de qui vous avez épousé la cousine, héritera de ma couronne.

— Éloignez de vous ces sombres pensées, monseigneur ! Vous régnerez longtemps encore… oui, vous régnerez assez longtemps pour voir la fin et la ruine de cette monstrueuse république… l’horreur,

  1. Voir la dépêche de Hoche (textuel).