Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/57

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que tu es citoyen avant d’être soldat… souviens-toi surtout que ceux qui ne voient dans la guerre qu’un champ ouvert à leur ambition, à leur orgueil, sont exécrés parmi les hommes !… — Puis, s’adressant à son frère, Victoria reprend : — Adieu, frère… avant le combat… j’avais le pressentiment de finir comme notre aïeule Anna Bell… dont la triste vie a tant de rapports avec la mienne… Elle a été tout enfant corrompue par cette reine infâme… Catherine de Médicis… j’ai été souillée tout enfant… par cet infâme roi Louis XV… J’aurai été tuée à la guerre par un fils de Neroweg… et Anna Bell a été tuée à la bataille de la Roche-la-Belle… sous les yeux du Karl de Gerolstein… qu’elle adorait… — Puis, semblant frappée d’une idée subite, Victoria se recueille et reprend : — Le grand-duc régnant de Gerolstein est prisonnier… m’as-tu dit, mon frère ?

— Oui… il a été pris par Castillon et un jeune volontaire de notre bataillon.

— Il faut instruire Saint-Just des services rendus à notre cause par Frantz de Gerolstein, maintenant retenu par son père dans une prison d’État… et signifier au grand-duc qu’il restera prisonnier tant qu’il n’aura pas rendu à son fils la liberté… Frantz… libre… pourra servir encore la révolution… N’oublie pas cela, frère !

— Je ne l’oublierai pas, — répond Jean Lebrenn en pleurant ; et il murmura d’une voix déchirante : — Mon Dieu… tu vas mourir !!

— Jean… ta douleur est une injure à la croyance que nous ont léguée nos pères… Est-ce que l’on meurt ?… est-ce que je ne vais pas aller continuer de vivre, corps et âme, esprit et matière… en ces mondes inconnus où je te précède ?…

— Ce n’est pas ta mort que je pleure… puisque, ainsi que toi, je ne crois pas à la mort… je pleure notre séparation… Tu pars pour un voyage dont tu ne reviendras plus… Je suis jeune encore… et de longues années se passeront peut-être encore avant que je le revoie… sœur chérie !

— Ces longues années s’écouleront pour toi comme un jour… embellies par la tendresse de ta digne femme… par l’amour de tes enfants… par l’accomplissement de tes devoirs civiques !… De nouvelles luttes t’attendent sans doute… car, sans parler des traîtres… la république a des partisans plus funestes que ses plus dangereux ennemis… et notre génération, si révolutionnaire qu’elle soit, est encore pétrie de catholicisme… Elle a brisé ses idoles… mais elle a conservé l’empreinte indélébile de la religion de Rome !

— Ah ! je partage ta crainte… Dieu juste ! l’aurons-nous donc vu