Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/58

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se lever si radieux, ce beau jour prédit par Victoria la Grande, pour assister à son déclin au milieu de nouveaux orages ?…

— De ce beau jour… ni toi ni d’innombrables générations ne verrez la fin… C’est un de ces jours dont les minutes sont des années… les heures… des siècles… Ce jour d’affranchissement durera ce qu’a duré ce long jour d’asservissement, dont la conquête de CLOVIS a été l’aube sanglante… et dont le supplice de LOUIS CAPET, le dernier de ces rois francs, a été le sanglant couchant ! — reprit Victoria d’une voix solennelle ; et soudain, de même que la flamme d’une lampe expirante jette parfois encore quelques vives clartés, au moment de s’éteindre, la jeune femme se redresse brusquement sur, son séant ; ses grands yeux noirs, naguère ternis par les approches de la mort, s’illuminent d’un rayonnement interne ; sa voix, naguère haletante, voilée, redevient sonore, vibrante ; ses beaux traits, naguère crispés par l’agonie, resplendissent de foi et d’enthousiasme ; elle s’écrie : — Ah ! frère, je le sens… je le sens… mon esprit se dégage de mon corps actuel… pour aller animer ailleurs une enveloppe nouvelle… L’avenir se dévoile à ma vue… à moi… ! Victoria, la femme soldat… ainsi qu’il s’est dévoilé… il y a tant de siècles… à VICTORIA, LA FEMME EMPEREUR ! sœur de lait de notre aïeul Scanvoc’h… Écoutez… écoutez les accents de ce génie prophétique dont les filles de la Gaule antique étaient possédées… lorsqu’elles chantaient l’avenir sur des harpes d’or… Écoutez, fils de Joël… Écoutez !…

À ces mots empreints d’une exaltation surhumaine, Olivier, Castillon, Jean Lebrenn, oublient leur douleur ; le canonnier Duchemin, le capitaine Martin, Duresnel et quelques volontaires, venus visiter leurs camarades blessés, se pressent à la porte du réduit, et, profondément émus, prêtent l’oreille aux paroles, de Victoria. Elle s’écrie, avec un redoublement d’exaltation prophétique :

— Salut, beau jour prédit par Victoria la Grande… salut !… radieuse est ton aube !… Je vois à ta naissante aurore des fers brisés, des bastilles écroulées, des trônes, des autels en poudre, et, dominant les décombres du vieux monde, l’échafaud de CAPET !… Salut, échafaud sacré… divin symbole de la Justice souveraine d’un peuple souverain… salut !… Ta hache sainte, trois fois sainte, a décapité la monarchie, a découronné cet arbre séculaire étranger à la vieille Gaule républicaine, implanté, enraciné par la conquête franque dans notre terre jadis libre… et arrosé des sueurs et du sang des Gaulois asservis !… C’est fait de la royauté… c’en est fait !… Qu’importent