Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/69

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JÉSUS quand il mourut : trente-trois ans ! Vous trouverez mon nom dans le panthéon de l’histoire, et ma demeure sera bientôt le néant ! » Accusé de complicité avec Dumouriez et de complot contre la république, Danton repoussa cette absurde accusation, tantôt avec une éloquence foudroyante, tantôt avec un sanglant dédain. « — Je sais que notre mort est résolue, je ne disputerai pas plus longtemps ma tête aux assassins ! — dit ce grand homme en terminant. — J’aurais voulu que ma mort fût plus utile à la patrie ! Ma mémoire sera vengée ! mes ennemis me suivront à l’échafaud ! Peuple, souviens-toi quelquefois de ton ami ! souviens-toi que ton bonheur dépend de ton union avec la représentation nationale. Tu me verras aller au supplice avec autant de courage que j’en montrais en défendant tes droits. Je mourrai digne de toi ! »

Camille Desmoulins, marié depuis peu de temps à une jeune fille qu’il adorait, et dont il avait récemment eu un fils, écrivait la veille de son supplice à cette infortunée… « Je meurs à trente-quatre ans ; j’appuie avec calme ma tête sur l’oreiller de mes écrits, trop nombreux, peut-être, mais qui respirent tous la même philanthropie, le même désir de rendre mes concitoyens heureux et libres… Ô ma femme ! ma chère Lucile, j’étais né pour vivre paisible, défendre les malheureux, te rendre heureuse ; composer avec ta mère, mon père et quelques personnes selon notre cœur un O’Tahiti. Je rêvais une république que tout le monde eût adorée ; jamais je n’aurais pu croire les hommes si injustes, si féroces. Comment supposer que quelques plaisanteries écrites contre des collègues effaceraient le souvenir de mes services ! Je meurs victime de ces plaisanteries et de mon amitié pour Danton… Nous pouvons emporter avec nous le témoignage que nous mourons les derniers des républicains… Adieu, ma Lucile bien-aimée, vis pour notre enfant, pour notre petit Horace ; parle-lui de moi : tu lui diras, ce que le pauvre petit comprendra plus tard, que je l’aurais bien aimé… Malgré l’iniquité de mon supplice, je crois en Dieu. Mon sang effacera mes fautes. Ce que j’ai eu de bon, mes vertus civiques, mon amour de la liberté, Dieu le récompensera. Adieu, ma Lucile ! adieu, ma bien-aimée ! adieu, mon petit Horace ! adieu, mon père ! je sens fuir devant moi le rivage de la vie. Ô Lucile ! je te vois encore… Mes mains liées par le bourreau t’embrasseront encore, et ma tête, séparée de mon corps, attachera encore sur toi mes yeux mourants. »…