Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Les condamnés furent conduits le soir, à cinq heures, à l’échafaud. Camille Desmoulins tenait dans ses mains des cheveux de sa femme. Il devait être exécuté le premier, il voulut embrasser Danton, le bourreau s’y opposa. « — Tu es donc plus cruel que la mort ? — dit Camille, — elle n’empêchera pas nos têtes de se baiser tout à l’heure dans le fond du panier ! » — Puis, avisant le couteau de la guillotine, il ajouta : « — Voilà donc la récompense destinée au premier apôtre de la liberté ! celui qui, le 12 juillet 1789, a, le premier, fait appel à l’insurrection ! Les monstres qui m’assassinent ne me survivront pas longtemps ! » — Danton, calme, intrépide jusqu’à la fin, ne peut retenir cependant une larme, en s’écriant : « — Ma bien-aimée femme, mes pauvres enfants, je ne vous verrai donc plus ! » — Puis, se raffermissant : « — Allons, Danton, pas de faiblesse ! » — Et s’adressant au bourreau : « — Tu montreras ma tête au peuple… elle en vaut la peine ! »

_____

Charlotte Lebrenn, pendant que son mari servait dans l’armée de Rhin et Moselle, continuait d’habiter avec sa mère la maison de la rue d’Anjou, maître Gervais ayant amicalement consenti à reprendre la direction de l’atelier de serrurerie cédé par lui à Jean Lebrenn, jusqu’à ce que celui-ci fût de retour de l’armée. Charlotte, ainsi que par le passé, tenait les livres de commerce de la maison ; elle s’occupait de ce soin dans la journée du 23 prairial an II (mai 1791). La jeune femme, dans un état de grossesse avancée, était vêtue de deuil en mémoire de Victoria, sa belle-sœur. Madame Desmarais travaillait à un ouvrage de broderie à côté de la table où sa fille achevait la balance de ses comptes.

— Ah ! ma pauvre enfant, — dit madame Desmarais, — béni soit le jour où j’ai abandonné la maison de mon mari ! je ne suis pas du moins témoin de l’opprobre dont il se couvre… Lorsque le comité de salut public a demandé la mise en accusation de ce malheureux Danton et de ses amis, j’ai lu dans le journal que mon mari est monté à la tribune pour défendre l’accusé ! Cela, je l’avoue, me surprend d’abord beaucoup : M. Desmarais se ranger du côté de celui qu’on poursuit ! mais bientôt j’ai le secret de cette surprenante générosité ; c’était un piège abominable tendu à ceux qui avaient réellement quelque pitié dans l’âme, car, après avoir, pendant un quart d’heure, rappelé les services, le patriotisme de Danton, soudain mon mari s’arrête et s’écrie : « La république ne périra pas ! 
 car