Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/7

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— Elle est mère !

— Joies du ciel !! combien elle doit être heureuse !!

— Oui ; et dans ce bonheur elle songeait encore à toi. Combien de fois ne m’a-t-elle pas dit et écrit : Si Victoria revient un jour près de nous, avec quelle tendresse elle aimera notre enfant !!

— Bonne sœur ! je suis fière d’être si bien connue d’elle…

— Il n’était pas une de ses lettres dans laquelle elle ne me parlât longuement de toi, s’alarmant de plus en plus du mystère dont tu entourais ta vie depuis plusieurs mois… Mon Dieu ! te retrouver ici à l’armée, sous cet uniforme… je ne sais si je rêve ou si je veille… À peine mon émotion… mon trouble, me permettent de lier deux idées. — Et, se recueillant pendant un moment de silence, Jean Lebrenn ajoute : — Pardon, sœur !… me voici plus calme… Maintenant je crois deviner la cause qui t’a conduite à t’engager, à l’exemple de plusieurs héroïnes qui combattent virilement les ennemis de la république… Olivier sert sans doute dans le même régiment que toi ?

— Oui, et déjà, par sa bravoure, par sa rare et croissante intelligence de la guerre, il a conquis ses premiers grades. Le plus brillant avenir s’ouvre devant lui.

— Ma sœur, — reprend Jean Lebrenn avec une légère hésitation, — le résultat est inespéré… mais…

— Mais… comment… mais à quel prix l’ai-je obtenu, n’est-ce pas, Jean ?… Rassure-toi, je pénètre ta pensée. Je n’ai pas à rougir du moyen dont je me suis servi. Voici en deux mots ce qui s’est passé : Olivier, le jour de sa tentative de suicide, m’avait juré, tu le sais, de ne pas attenter à sa vie pendant vingt-quatre heures. Avant le jour, j’ai frappé à sa porte… Il ne s’était pas couché… Sa physionomie morne, désespérée, m’a paru aussi sinistre que la veille. « — Olivier, lui ai-je dit, partons à l’instant. — Où allons-nous ? — Vous le saurez… Vous m’avez juré de renoncer jusqu’à ce soir à vos projets de suicide… Peu vous importe de passer votre dernière journée ici ou ailleurs, venez… » Olivier m’a suivie.

— Où es-tu allée ?

— Dans la banlieue de Paris, à Sceaux, où j’avais passé quelques jours peu de temps auparavant, espérant en vain trouver dans la solitude l’apaisement de mes chagrins. Tu as peut-être oublié que lorsque le château de Sceaux est devenu propriété nationale, notre ancien portier de la rue Saint-Honoré, bon patriote, a été, grâce à ta recommandation auprès de Cambon, nommé…