Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/95

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— Je l’avoue.

— Par contre, à part vous, Vadier, David et quelques autres, la majorité des terroristes n’est-elle pas composée d’hommes décriés, corrompus ou monstrueusement criminels ?

— Moralement parlant, c’est vrai… Qu’en concluez-vous, mon cher Lebrenn ?

— Je conclus ceci : vous autres terroristes vous voulez abattre Robespierre et les jacobins ; vous réussissez, vous les envoyez à l’échafaud. Le parti terroriste, dont vous, Billaud, et quelques autres honnêtes gens formez l’infime minorité, domine la Convention. Donc, les Fréron, les Carrier, les Fouché, les Collot-d’Herbois, les Tallien, les Barère, en un mot les immoraux, les grands criminels sont maîtres du gouvernement de la république. Et vous croyez que, souillés de vices et de forfaits, ces misérables, dévorés de tous les honteux appétits, s’accommoderont longtemps de l’état républicain, essentiellement basé sur l’honnêteté des mœurs, sur l’égalité, sur les vertus civiques, sur l’abnégation, sur le sacrifice ?… Non, non, ces misérables, pour assouvir leurs mauvaises passions, leur cupidité, leur orgueil, leur ambition, et s’assurer l’impunité de leurs infamies passées, auront bientôt vendu la république aux royalistes du côté droit de la Convention ; et si vous élevez la voix, vous, honnête, minorité du terrorisme, ils vous enverront à l’échafaud, Billaud-Varenne.

— Et ils rétabliront la monarchie ? — répond le conventionnel haussant les épaules ; — ils introniseront un nouveau Capet !

— Je ne puis prévoir la marche des choses avec certitude ; mais si ces hommes ne rétablissent pas tout d’abord la monarchie, ils rendront le gouvernement de la république si méprisable, si odieux, que, privée d’ailleurs de l’appui de tous les patriotes dévoués qui, depuis Vergniaud jusqu’à vous, auraient pu la défendre, la sauver, la conserver, la république subira une éclipse, et tôt ou tard la France retombera passagèrement sous le sceptre d’un roi ou sous le sabre d’un chef militaire.

— Ah çà ! et ce pauvre peuple ?… vous comptez sans lui, jeune homme, et faites, ce me semble, bon marché du souverain ?

— Le peuple ? — reprit douloureusement Jean Lebrenn, — le peuple !… Ah ! c’est là ce qui rend irrémissibles et doublement criminelles les fautes enfantées par la rivalité égoïste, par la haine aveugle des partis ; le peuple, après avoir tant donné, tant souffert, tant espéré, se voyant déçu de son dernier espoir, faillira momentanément dans sa foi républicaine ! Comment en serait-il autrement !