Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aussi, la mise en accusation des scélérats était-elle décrétée par l’immense majorité de la Convention, et l’opinion du pays approuvait Robespierre.

— Et dès lors il exerçait une dictature sans bornes.

— Comment ! il eût exercé la dictature par cela que la majorité de la Convention et du pays aurait partagé, sanctionné son opinion, ses principes, sa politique ?

— Jeune homme, c’est ainsi que se consacre et s’enracine la tyrannie ! À quoi ne peut prétendre un homme appuyé sur la majorité d’une assemblée, sur l’adhésion de tout un peuple ?

— Rien de plus simple : il peut, il doit, jusqu’à l’expiration de son mandat de représentant du peuple, et s’il marche d’accord avec le pays et la Convention, prétendre à faire prévaloir sa politique… sinon… il abandonne le pouvoir.

— En théorie il en devrait être ainsi, — répond Billaud-Varenne avec un accent de soupçon jaloux, — mais en pratique il en est autrement ; or, si Robespierre devait trouver constamment dans la Convention et dans le pays l’appui qu’il y a trouvé souvent, il voudrait infailliblement éterniser sa dictature, il tenterait au besoin de l’imposer par la force… Vous ne savez pas, jeune homme, ce dont cet homme est capable pour conserver le pouvoir.

— En ce cas, mais en ce cas seulement, il deviendrait un traître ; l’insurrection serait alors le plus saint des devoirs. Le peuple prendrait les armes, et l’aspirant dictateur serait bientôt renversé.

— Qui sait ?… Il est, croyez-moi, plus prudent d’empêcher la tyrannie de s’élever. Voilà pourquoi nous combattons et nous combattrons Robespierre jusqu’à la mort !!

— Soit ! — reprend Jean Lebrenn profondément attristé. — Ainsi, les républicains girondins ont été guillotinés, les républicains hébertistes ont été guillotinés, les républicains dantonistes ont été guillotinés, il ne reste plus en présence que les républicains terroristes, dont vous êtes l’un des plus purs, et les républicains jacobins, dont Robespierre, Saint-Just, Couthon, Lebas et quelques autres sont les chefs. Maintenant, Billaud-Varenne, je m’adresse à votre sincérité : ces citoyens sont-ils, oui ou non, des hommes d’une irréprochable moralité ?

— Oui, ce sont de très-honnêtes… scélérats.

— Enfin, abstraction faite de leur nuance politique, ils ont donné des gages à la républiques ? Ils sont honnêtes, intègres, purs entre tous, vous l’avouez ?