Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/170

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s’approcher de moi, de me parler, la figure de mon père devint aussi rayonnante que lors de nos plus heureux jours d’autrefois. À peine fut-il à portée de ma cage, qu’il me dit d’une voix entrecoupée par des larmes de bonheur : — Ta joue… mon pauvre enfant, ta joue. — Alors j’appuyai ma joue sur le grillage, et il tâcha de la baiser à travers les barreaux ; puis, malgré notre contentement de nous revoir, nous avons beaucoup pleuré. Il a le premier séché ses larmes pour me consoler, pour m’encourager, pour me rappeler les mâles exemples de notre famille, les préceptes de nos dieux. Nous avons aussi longtemps parlé de toi, ma sœur. Enfin, après bien des tendresses échangées, le gardien l’a reconduit au souterrain. Rares étaient ces entrevues, mais, chaque fois, elles donnaient à notre père un nouveau courage.

— Et toi, pauvre frère, toujours prisonnier ?

— Toujours… C’était pour notre maître la seule garantie de la docilité de mon père… Trois ans se sont ainsi passés. Le Romain, ayant eu à correspondre dans notre langue pour des ventes de blés avec les Gaulois d’Angleterre, chargea mon père de ce soin… Ce fut ainsi qu’il put, obéissant aux dernières volontés de notre aïeul Joel, écrire à la dérobée, çà et là, pour moi, quelques récits de sa vie… Il avait caché dans le creux d’un tronc d’arbre, dont je savais la place, les récits de Joel et d’Albinik, ainsi que la petite faucille d’or venant de notre tante Hêna, et une des clochettes d’airain que portaient nos taureaux de guerre à la bataille de Vannes ; il déposait aussi dans sa cachette ce qu’il pouvait écrire. Ces pieuses reliques de notre famille, je les ai là ma sœur ; je te les apportais, pour te prouver au besoin que j’étais ton frère… Hélas ! les dernières lignes écrites par notre père n’ont précédé sa mort que de peu de jours…

— Et cette mort… si horrible… sais-tu quelle en a été la cause ?

— Mon père, rendant de nombreux services à notre maître, finit par jouir d’un peu plus de liberté que les autres esclaves, il en profita pour nous préparer à tous deux les moyens de fuir. Lors de notre