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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/175

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— Qu’entends-je ?… Toi ! ma sœur… toi ! parler ainsi !…

— Voudrais-tu me voir ingrate ?

— Dieux justes !… que dit-elle !…

— Toi, pauvre frère, — reprit Siomara en redoublant de tendresse caressante… — toi… soumis tout enfant à un dur esclavage, ayant toujours sous les yeux le spectacle des misères, des maux de notre père, tu devais voir la servitude avec haine, avec horreur ; rien de plus naturel… et puis tu comparais à ta vie présente les paisibles jours de notre enfance dans notre humble maison… Mais moi, Sylvest, quelle différence !…

— Quoi ! c’est ainsi que tu parles de l’esclavage ?

— Esclave… moi ? — et elle se prit à rire d’un rire si sincère, qu’il effraya Sylvest. — Dis donc, au contraire, qu’au bout de huit jours, moi, enfant de neuf ans, j’avais pour premier esclave le vieux seigneur Trymalcion ; tous ses esclaves, à lui, étaient aussi les miens, car je ne sais quel philtre avait rendu ce vieillard, si redouté de tous, un véritable agneau pour moi. Et puis, tu ne peux t’imaginer les merveilles de sa galère, qui m’a conduite de Vannes en Italie… La galère de la reine Cléopâtre n’était rien auprès de cela… Figure-toi que ma chambre, la plus belle de toutes, car Trymalcion l’habitait avant de me la donner, avait pour lambris des plaques d’ivoire incrustées d’or ; de charmantes peintures qui, d’abord, me surprirent beaucoup, couvraient le plafond… Le tapis, composé des dépouilles des petits oiseaux les plus rares par la variété et l’éclat de leur plumage, semblait aussi brillamment nuancé que l’arc-en-ciel. Mon lit et tous les meubles de ma chambre, ciselés par des Grecs, étaient de l’or le plus pur ; le duvet des jeunes cygnes gonflait mes matelas, recouverts de soie tyrienne ; et telles étaient la blancheur et la finesse de mes draps de lin, qu’auprès d’eux la toile d’araignée eût semblé grossière et la neige grise. Dix femmes esclaves, destinées à me servir, travaillant jour et nuit, m’avaient taillé, dans des étoffes d’Orient d’un prix inestimable, les plus riches, les plus charmants habits… et,