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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/179

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voir fait l’esclavage si cruel ! de m’avoir mis au cou un carcan de fer, au lieu d’un collier d’or ! j’aurais sans doute, comme cette infortunée, porté joyeusement ce collier d’infamie. Ainsi, l’opulence, la mollesse, les plaisirs, te tenaient lieu de tout ! Famille, pudeur, pays, liberté, dieux ! il n’existait plus rien pour toi !…

— Que veux-tu, Sylvest ? — reprit Siomara en étendant à demi ses bras, comme si un inexprimable souvenir d’ennui et de satiété eût à ce moment encore pesé sur son âme, — que veux-tu ? À quatorze ans à peine, j’étais depuis longtemps reine de ces gigantesques bacchanales que le vieux Trymalcion donnait de mois en mois, pour me divertir, dans son immense villa souterraine de l’île de Caprée, où, par un goût bizarre de ce noble seigneur, dix mille flambeaux de cire parfumée remplaçaient la lumière du jour. On eût acheté des provinces avec l’or que coûtait chacune de ces saturnales, où l’on noyait de jeunes et beaux esclaves dans des bassins de porphyre remplis des vins les plus rares, où l’on étouffait des enfants et de jeunes vierges sous des montagnes de feuilles de roses mêlées de fleurs de jasmin et d’oranger, sans te parler de mille autres inventions capricieuses de Trymalcion, qui ne savait qu’imaginer pour me plaire ou pour me distraire de mon ennui croissant… Ah ! Sylvest, on parle à Orange des orgies de Faustine… ce sont des jeux d’innocentes vestales auprès des orgies nocturnes et souterraines de ce vieux seigneur, qui a prolongé ses jours jusqu’à quatre-vingt-dix-huit ans en prenant chaque matin un bain magique où entrait le sang encore tiède d’une jeune fille (D)… Ce vieillard est mort à temps pour lui et pour les autres… Il était à bout d’inventions pour combattre le dégoût, la satiété, qui, de jour en jour, me minaient… Heureusement (et je peux te dire ceci, maintenant que ton récit, ta tendresse pour moi, me prouvent que j’ai retrouvé un frère, dont je ne veux plus me séparer), heureusement, de cet ennui, de cette satiété, de ce dégoût de toutes choses, j’ai, depuis deux ans, trouvé la guérison… Oh ! frère, — ajouta Siomara avec une exaltation dont