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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/244

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d’y accomplir, en faveur de la rédemption de l’humanité, des prodiges, des miracles, et de ressusciter visiblement trois jours après sa mort pour remonter aux cieux ? »

Ou bien :

« Jésus est-il un des plus hardis réformateurs, un des plus grands philosophes dont puisse s’enorgueillir l’espèce humaine, un génie véritablement divin par l’âme, céleste par le cœur, qui, joignant à de rares et profondes connaissances dans l’art de guérir, à l’aide desquelles il opérait des cures vraiment miraculeuses, une tendresse inépuisable pour tout ce qui était pauvre, opprimé, souffrant ou dégradé par une vicieuse organisation sociale, a, par des doctrines, porté une mortelle atteinte à la monstrueuse tyrannie de la société romaine, jeté les fondements d’un monde nouveau, et pris place au-dessus de Moïse, de Platon, de Socrate, et de tous les sublimes génies de l’Asie et de la Gaule druidique ? »

Nous honorons toutes les convictions sincères et pieuses, depuis la croyance des juifs, des chrétiens rationalistes ou protestants, jusqu’à celle des catholiques romains les plus orthodoxes en matière religieuse. Chacun pense, croit, pratique, examine, apprécie comme il veut ou comme il peut, à la condition, nous le répétons, de respecter les croyances de tous, comme tous doivent respecter la croyance de chacun, pourvu qu’elle se formule avec mesure et convenance.

Ceci posé, nous trouvons fort logiques à son point de vue, l’opinion émise dans le livre du célèbre docteur Straüs sur la vie de Jésus-Christ[1].

Cette opinion, la voici :

« La réflexion place Jésus dans la catégorie des individus doués de hautes facultés, dont la vocation, dans les différents domaines de la vie, est d’élever le développement de l’esprit à des degrés supérieurs ; individus que nous signalons d’ordinaire par le titre de génies dans les branches extra-religieuses, et particulièrement dans celles de l’art et de la science. Ce n’est pas sans doute encore ramener le Christ dans ce qui est, à proprement parler, le sanctuaire chrétien, ce n’est que le placer dans la chapelle d’Alexandre Sévère, à côté d’Orphée, d’Homère, où il se trouve, non-seulement à côté de Moïse, mais encore à côté de Mahomet, et où même il ne doit pas dédaigner la compagnie d’Alexandre, et de César, de Raphaël et de Mozart. Ce rapprochement inquiétant disparaît cependant par deux raisons : la première, c’est qu’entre les différents domaines où peut se développer la force créatrice du génie, fille de la Divinité, le domaine de la religion est placé d’une manière générale en tête de tous les autres… aussi peut-on dire du fondateur d’une religion, dans un tout autre sens que du poëte, du philosophe, que Dieu se manifeste en lui ; la seconde raison, c’est que, même dans le domaine religieux, le Christ, étant l’auteur de la plus haute religion, dépasse les autres fondateurs de religion[2].

» Mais, en admettant que le Christ, au point culminant de la vie spirituelle sur le terrain de la communion la plus intime de l’Être divin et humain, est le plus grand parmi tous ceux dont le génie créateur s’est développé sur le même théâtre, cela, dira-t-on, n’est valable que pour les temps qui se sont écoulés ; quant à l’a&venir, nous n’avons, ce me semble, rien qui nous garantisse qu’il ne viendra pas un autre génie qui, bien que non attendu par la chrétienté, n’égale ou même ne surpasse le Christ, de même que Thalès et Parménide ont été suivi de Socrate et de Platon, et que, sur le terrain même de la religion, Moïse a été suivi du Christ. »

Maintenant, chers lecteurs, ceux d’entre vous qui voudraient s’édifier sur les questions si délicates de la naissance, des miracles et de la résurrection de Jésus, faits en apparence fort surnaturels, les trouveront expliqués ou ramenées à des proportions humaines et possibles dans l’ouvrage du célèbre docteur Straüs, ouvre toute moderne et d’une immense érudition, à laquelle la clarté du raisonnement, jointe à l’irrécusable citation des faits, semble donner une autorité incontestable.

Quelques mots maintenant pour préciser l’état des choses en Judée au moment où Jésus de Nazareth sortit pour la première fois de l’obscurité où il avait jusqu’alors vécu.

Ainsi que vous le savez, Jésus, fils de Marie et du charpentier Joseph, était Juif et professait la religion juive ; vous n’ignorez pas non plus que l’Ancien Testament, autrement dit la Bible, livre sacré des Hébreux, annonçait depuis des siècles, par la voix des prophètes, la venue d’un Messie, génie à la fois libérateur et réformateur, dont la mission serait d’affranchir le pays des Hébreux de l’oppression étrangère et de changer cette terre de misères et de larmes en terre promise, en paradis terrestre. Les mêmes livres saints décrivaient à l’avance quels seraient les actes et même quelques particularités de la vie de ce Messie ; aussi devait-il arriver et il arriva que, trouvant ainsi leur conduite tracée d’avance par les prédictions séculaires, tantôt des imposteurs, tantôt des hommes consciencieusement fanatisés par la lecture des livres saints, et se croyant véritablement le Messie promis, tantôt des hommes d’un sens politique profond, comprenant toute l’autorité que donnerait à leurs plans de réformes cette origine quasi-divine, se donnèrent, de siècle en siècle, pour le véritable libérateur et le réformateur tant annoncé par les saintes Écritures, tâchant et parvenant, chose assez peu difficile, à faire parfois à peu près coïncider leur vie, leurs actes, leurs paroles avec quelques-uns des prophéties écrites dans la Bible ; en d’autres termes, ces prophéties disant : Le Messie, fera, dira, accomplira telle chose, ces messies s’efforçaient, par tous les moyens possibles (et ils étaient de beaucoup de sortes

  1. Vie de Jésus, ou examen critique de son histoire, par le docteur David Frédérik Straüs, traduit de l’allemand par E. Littré, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 4 vol. in-octavo, Paris, 1840.
  2. Vie de Jésus, par Straüs, vol. II, p. 767 et suiv.