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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/247

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dans ces temps d’ignorance grossière) de réaliser plus ou moins certaines prophéties qu’ils connaissaient d’avance.

Beaucoup de ces messies précédèrent Jésus, d’autres le suivirent ; les uns furent reconnus pour des fourbes et échouèrent misérablement ; d’autres eurent une puissante influence sur le peuple hébreu, le soulevèrent contre les Romains, qui déjà dominaient la Judée ; mais, comme Jésus de Nazareth, ils payèrent de leur vie cette influence. Néanmoins, presque tous les messies agitèrent profondément les masses souffrantes et opprimées en leur promettant le royaume de Dieu sur la terre, c’est-à-dire le bonheur de tous et l’extermination des conquérants étrangers. Sous le siècle d’Auguste, époque que nous venons de traverser historiquement, la Judée fut incorporée à la Syrie, depuis longtemps province romaine. Cette incorporation, qui portait une dernière et suprême atteinte à la nationalité juive, fut favorablement accueillie par les classes supérieures de la Judée (ainsi que nous avons vu dans les Gaules beaucoup de riches Gaulois accueillir avec joie la conquête romaine) ; mais le peuple, écrasé par le redoublement des impôts dont il payait la protection romaine, s’irrita profondément, et plusieurs révoltes éclatèrent, soulevées par les derniers messies qui précédèrent Jésus.

Ce fut donc en ces temps d’effervescence populaire que se produisit publiquement et politiquement Jésus de Nazareth, se proclamant, après tant d’autres et comme tant d’autres avant lui, le véritable Messie.

Nous citerons ici, à ce sujet, quelques lignes d’un excellent ouvrage sur Jésus et sa doctrine[1], ouvrage écrit à un tout autre point de vue que celui du docteur Straüs, et qui arrive cependant à une conclusion presque identique.

« Dans le besoin commun de délivrance, la population moyenne et supérieure (de Judée), souvent avertie par tous les malheurs auxquels les soulèvements partiels avaient donné lieu, exigeait, pour reconnaître son libérateur (ou messie) que le conseil national eût proclamé préalablement son opportunité et les pouvoirs extraordinaires que l’opinion presque unanime ajoutait à sa venue. (Mais le conseil national des Juifs n’avait pas, si cela se peut dire, accrédité Jésus-Christ comme véritable messie.) Les classes inférieures, au contraire, plus souffrantes et moins arrêtées par la prudence et les intérêts personnels, se précipitaient au-devant de tout homme qui annonçait au nom de Dieu le salut de la nation.

» Une seconde cause, quoique fondée sur l’un des principes les plus brillants, les plus moraux de la doctrine de Jésus, éloignait de lui toutes les personnes attachées dans leur condition sociale à un certain honneur, et devait réveiller chez les magistrats une méfiance grande et involontaire. Les errements de l’école essénienne, qui, par amour pour la paix et la pureté de l’âme, dictait à ses adeptes de ne rechercher que la société des gens de bien, n’avaient point paru d’une nature assez féconde aux yeux de Jésus… Comme le secours du médecin n’appartient point, disait-il, aux individus en santé, mais aux malades, de même tous ses soins devaient aplanir aux méchants les voies du royaume de Dieu. En conséquence, beaucoup de femmes jusqu’alors prostituées, beaucoup d’hommes méprisés pour leur conduite, paraissaient en premier ordre sur ses traces et étaient admis à ses repas.

» Enfin, l’image flatteuse d’un monde prochain où les pauvres, les derniers, obtiendraient la place des premiers, la possession éternelle de la terre recomposée, reconstituée, exerçaient beaucoup plutôt leur action sur une multitude qui, ne possédant rien, ne livrait rien aux chances du hasard, que sur des hommes qui avaient à compromettre leur famille, leur existence, leur avenir. »

Telle était donc la position des hommes et des choses lorsque Jésus de Nazareth se produisit en Judée comme le véritable Messie réformateur et libérateur ; mais, s’il devint aussitôt l’idole des pauvres, des opprimés, des êtres dégradés, auxquels il faisait entendre pour la première fois de tendres paroles d’amour, de consolation, de pardon et d’espérance, il fut bientôt l’objet de la haine passionnée, aveugle, féroce, des gens qui, ainsi que le dit M. Salvador, craignaient de voir compromettre, par les doctrines réformatrices de Jésus, leur famille, leur existence, leur avenir.

Cette classe de citoyens de Jérusalem, composée des sénateurs, des banquiers, des docteurs de la loi et des princes des prêtres, appartenait généralement à l’école ou à l’opinion pharisienne, opinion dont le principe reposait sur le respect de la religion et de l’autorité.

Or, ainsi que vous le verrez, chers lecteurs, par les citations irrécusables des Évangiles, Jésus de Nazareth n’était pas seulement un admirable réformateur social et politique, mais encore un réformateur religieux, et quoiqu’il professât la religion juive, il blâmait et, méconnaissait certaines observances, certaines pratiques religieuses, considérées par les prêtres comme indispensables au salut. Il fut donc incessamment attaqué, exécré par les pharisiens, et finalement mis à mort à leur demande, pour avoir voulu, selon eux, renverser la religion, dissoudre la famille et attenter à la richesse et à la propriété individuelle.

Le sujet est trop grave pour que je cherche la moindre allusion aux événements et aux idées de notre temps ; vous vous en convaincrez vous-mêmes, car vous trouverez toutes mes affirmations appuyées de l’irrécusable autorité des Évangiles ; non, je ne cherche pas ici de puériles allusions, je constate des faits. Et, d’ailleurs, les temps ne sont plus les mêmes : l’humanité a marché. La sublime doctrine de Jésus se résume par ces principes : l’amour du prochain, l’égalité parmi les hommes, la charité.

L’amour du prochain et l’égalité avaient été déjà prêchés par différents philosophes antérieurs à

  1. Jésus-Christ et sa doctrine, vol. I, p. 318 et suiv., par M. Salvador, 2 vol. in-octavo.