Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/31

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être cinquante prisonniers blessés, tous enchaînés sur nos litières ; au fond du hangar se tenaient plusieurs hommes armés ; ils ne me parurent pas appartenir aux troupes régulières romaines. Assis autour d’une table, ils buvaient et chantaient ; quelques-uns d’entre eux, marchant d’un pas mal assuré comme des gens ivres, se détachaient de temps à autre de ce groupe, ayant à la main un fouet à manche court, composé de plusieurs lanières terminées par des morceaux de plomb ; ils se promenaient çà et là, jetant sur les prisonniers des regards railleurs. À côté de moi était un vieillard à barbe et à cheveux blancs, d’une grande pâleur et maigreur ; un linge ensanglanté cachait à demi son front. Ses coudes sur ses genoux, il tenait son visage entre ses mains. Le voyant prisonnier et blessé, je l’ai cru Gaulois : je ne m’étais pas trompé.

— Bon père, — lui ai-je dit en le touchant légèrement au bras, — où sommes-nous ici ?

Le vieillard, relevant sa figure morne et sombre, m’a répondu d’un air de compassion :

— Voilà tes premières paroles depuis deux jours…

— Depuis deux jours ? — ai-je repris bien étonné, ne pouvant croire qu’il se fût passé ce temps depuis la bataille de Vannes, et cherchant à recueillir ma mémoire incertaine. — Est-ce possible ? il y a deux jours que je suis ici ?

— Oui… et tu as toujours été en délire… ne semblant pas savoir ce qui se passait autour de toi… Le médecin qui a pansé tes blessures t’a fait boire des breuvages…

— Maintenant je me rappelle cela confusément… et aussi… un voyage en chariot ?

— Oui, pour venir du champ de bataille ici. J’étais avec toi dans ce chariot, où l’on t’a porté.

— Et ici, nous sommes ?…

— À Vannes.

— Notre armée ?…