Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ni l’espoir ni le désir d’apprendre que ma femme et mes enfants eussent échappé à la mort sur le chariot de guerre ; mais, me rappelant que je n’avais vu sortir ni Hénory, ni mon petit Sylvest, ni ma chère petite Siomara de la logette de l’arrière du char, je dis au maquignon :

— Où m’as-tu acheté ?

— Dans l’endroit où nous faisons toujours nos achats, mon brave Taureau, sur le champ de bataille… après le combat.

— Ainsi, c’est sur le champ de bataille de Vannes que tu m’as acheté ?…

— C’est là même…

— Et tu m’as ramassé sans doute à la place où j’étais tombé ?

— Oui, vous étiez là un gros tas de Gaulois dans lequel il n’y a eu de bon à ramasser que toi et trois autres, y compris ce grand vieillard, ton voisin… tu sais ?… Perce-Peau, que les archers crétois m’ont donné par-dessus le marché, comme esclave de réjouissance (E). C’est qu’aussi, vous autres Gaulois, vous vous faites carnager de telle sorte (et par Jupiter ! je ne sais pas ce que vous y gagnez), qu’après la bataille, les captifs vivants et sans blessures sont introuvables et hors de prix… Moi, je ne peux point mettre beaucoup d’argent dehors ; aussi je me rabats sur les blessés : mon compère le fils d’Esculape vient avec moi visiter le champ de bataille, examine les plaies, et guide mon choix ; ainsi, sais-tu, malgré tes deux blessures et ton évanouissement, ce que m’a dit ce digne médecin ? Après t’avoir examiné et avoir sondé tes plaies : « Achète, mon compère, achète… il n’y a que les chairs d’attaquées, et elles sont saines ; cela dépréciera peu ta marchandise, et ne donnera lieu à aucun cas rédhibitoire (F). » Alors, vois-tu, moi, en fin maquignon qui connaît le métier, j’ai dit aux archers crétois en te poussant du bout du pied : « Quant à ce grand cadavre-là, il n’a plus que le souffle, je n’en veux point dans mon lot. »

— Quand j’achetais des bœufs au marché, — dis-je au maquignon